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  « CE TEXTE NE DOIT EN AUCUN CAS ÊTRE REPRODUIT ET DIFFUSE SANS MON ACCORD » Roland DOZIERE  

 

SUR LE CHEMIN DU MANASLU

UNE MONTAGNE FASCINANTE

« Cent écritures divines ne sauraient décrire les miracles de l’Himalaya »

(Proverbe sanskrit)

« Chacun sa marche, chacun son destin, chacun sa sagesse » 

(Mon proverbe) 


Le Népal avec ses 800 kilomètres d’Est en Ouest sur seulement 145 à 240 kilomètres du Nord au Sud apparaît comme englobé dans le subcontinent indien aux limites de la Chine. Ce pays, qui ne représente que 0,1% de la surface terrestre, abrite cependant : 2% des espèces florales du monde ; 8% de la population mondiale d’oiseaux tcharaa (plus de 848 espèces) ; 4% des mammifères de la terre ; 11 des 15 familles de papillons poutali de la planète (plus de 500 espèces), 600 familles de plantes indigènes, 319 espèces d’orchidées exotiques.

C’est aussi le seul royaume hindou au monde, ce qui n’empêche pas une harmonieuse cohabitation de l’hindouisme et du bouddhisme.

Le Népal central, la région qui nous intéresse est le bassin de la Kali Gandaki qui finit sa course dans le Gange et qui draine les massifs du Dhaulagiri, des Annapurna, du Manaslu, du Ganesh Himal et du Langtang Lirung soit 50 000 km2 des 147 181 km2 du pays.

Cette gigantesque barrière qu’est la chaîne himalayenne attire les alpinistes et les voyageurs. Elle compte à elle seule huit des plus haut sommets de 8000 mètres de la planète : Sagarmatha ou Chomolougma (Everest 8850m) le toit du monde, Kangchenjunga 8586m, Lhotse 8516m, Makalu 8463m, Cho Oyu 8201m, Dhaulagiri 8172m, Manaslu 8163m et Annapurna 1 8091m et le nombre de 7000 mètres atteindrait quatre-vingt-quatre .

Il faut savoir aussi que le Népal était interdit aux étrangers jusqu’en 1950, année de ma naissance, à l’exception du représentant de la couronne britannique et de sa famille suite à la guerre entre ses deux pays. Les premiers bénéficiaires de l’ouverture seront des himalayistes Maurice Herzog vainqueur de l’Annapurna 1 8091 mètres en 1951, que je viens de rencontrer et quatre ans plus tard, le Néo-Zélandais Edmund Hillary qui avec le sherpa  Norgay Tenzing escalada le Sagarmatha en 1953.

Encadré par l’Annapurna à l’Ouest et le Ganesh Himal, la région du Manaslu est comme le Dolpo, très peu fréquentée et très peu peuplée. Elle n’est ouverte au tourisme que depuis 1991. Elle subit certaines années l’influence des pluies d’hiver mais la pluviosité n’est cependant pas très élevée. La vallée de la Buri Gandaki affluent de la Kali a toujours été un chemin difficile vers le Tibet : Pourquoi ?

Simplement parce qu’elle s’enfonce violemment dans le paysage et qu’elle a presque coupé cette région du monde en deux, entre le Manaslu et le Ganesh Himal. Cette gorge est unique. Un monde quasi-tropical là où l’eau rugit, encadrée des sommets de neige éternelle juste au-dessus, si près parfois qu’il faudrait presque s’éloigner pour les apercevoir. Le chemin de vie s’accroche à tout çà, parfois aérien, parfois plongeant, montées – oukalo, descentes – ouralo sont omniprésentes dans cette contrée sauvage qui a gardé son côté authentique.

Le Manaslu, le plus oublié des huit milles mètres, s’il faut en chercher une raison, c’est sans doute que la montagne est discrète. Pour bien la voir, il faut marcher longtemps et aller jusqu’à sa face nord. Il y a des paysages qui ne s’oublient pas et le Manaslu est de ceux-là paraît-il ? On voulait le voir, celui qui va nous donner l’envie de marcher, de nous dépasser…  Alors, il est grand temps que je vous invite à glisser dans notre rêve…. La marche n’est-elle pas un voyage intérieur ?

Nous sommes le 4 octobre 2006, c’est le jour J pour notre départ de France. Nous arrivons à 8 h 30  au guichet de Gulf Air de Roissy Charles de Gaulle.

Tous mes compagnons pour cette expédition sont là ; on embarque les trois chariots de bagages (avec en plus les 70 kg de vêtements pour l’association « les amis de Laprak » et c’est parti pour une nouvelle aventure. 

Première étape : Bahreïn… Golfe Persique… le temps de consommer une bière et de remplir les futurs documents pour obtenir les visas à l’arrivée et quelques aller-retour dans l’aéroport… Redécollage… Deuxième étape : Bahreïn – Kathmandu. Avant l’arrivée, durant la dernière heure, on aperçoit la chaîne du Daulaghiri et des Annapurna par les hublots de gauche vers le Nord que j’avais fait réserver des sièges de ce coté lors de l’achat des billets… mais cette vision je n’y croyais pas trop en cette période de début de mousson. Nous avons de la chance… et puis voici les rizières et les petites maisons rouges de la vallée avant un atterrissage soft sur le tarmac du petit aéroport de Kathmandu.

Il est 6 h 30, le soleil est là… On descend de l’oiseau de fer et à pied nous atteignons rapidement par un long couloir, la salle des formalités d’entrée…

C’est long du fait qu’un autre avion s’est posé juste avant le nôtre et aussi d’un manque de personnel à cette heure matinale, mais cela permet à Albert de se faire refaire de nouvelles photos d’identité, le bougre malgré mes nombreuses relances à ce niveau,  les a oubliées dans son sac de soute, et oui, peut-être l’âge ? : 45 minutes de queue pour la prise des visas 30 dollars US ou 20 euros environ sur place pour 60 jours ; suit le  contrôle des passeports au même guichet et apposition du tampon d’entrée.

Moi, je passe plus rapidement ayant mon visa obtenu en France, cela me permet de récupérer les bagages sans soucis y compris les 70 kg de vêtements…

L’extérieur de l’aéroport est depuis plusieurs années accessible qu’aux personnes et agences qui viennent chercher des voyageurs ou qui les raccompagnent, il n’y a plus cette ambiance de foule et de pancartes d’hôtels qui pouvaient faire peur lors d’un premier contact avec le Népal, mais cela avait aussi son charme…

Basu Dev  Sakha et Shree Gopal Baiday de l’agence Exotic trek nous attendent le sourire aux lèvres, accolades et remise des colliers de fleurs en signe de bienvenue. A l’aide d’un bus affrété par l’agence, ils nous conduisent à l’hôtel Harati. En route, c’est le premier contact avec la circulation fumante des faubourgs de Kathmandu : Pashupatinath et son grouillement toujours aussi spectaculaire, les abords du palais royal où doit régner une ambiance inhabituelle après « la révolution » de mars 2006 et le confinement du roi Gyanendra, et voici Thamel avec son agitation habituelle !  Enfin, c’est toujours un choc, à chaque voyage au Népal même après 24 ans de visite et près de 35 voyages dans ce pays : le spectacle de la rue, les odeurs, la poussière et déjà la première agression de la pollution due plus à la couche d’ozone d’après moi car quelques améliorations ont été accomplies depuis quelques années dans la capitale, avec la disparition de certains vieux bus Tata polluants et des rickshaws jaunes qui faisant parties de la vie et du déplacement dans cette ville aux ruelles étroites. Mais ici, ce n’est pas un gros plein d’oxygène comme on pourrait se l’imaginer car nous sommes déjà à 1300 mètres d’altitude…

5 octobre, journée de formalités (permis de trek) et  courses préparatoires pour l’aventure : achats ou location de duvets, doudoune, bâtons de marche, lunettes e–t- c…

Une journée de repos, de détente certains profitent du magnifique jardin encore fleuri en cette saison d’automne, flamboyants, bougainvillées y sont resplendissants mais il faut compter aussi sur le croassement des corbeaux qui squattent régulièrement les arbres au fond ou le toit de l’hôtel. D’autres usent les matelas ou retirent les traces du séjour dans l’avion en étant sous la douche. Le midi dégustation de notre premier dal bhaate au restaurant Népalese Kitchen plat que les népalais mangent matin, midi et soir. Le sens du mot est :  lentille - riz ici il est servi dans une assiette où l’on sert pour le riz puis des coupelles en laiton sont apportées où l’on trouve du choux bane-daakopi, des pommes de terre aalou, des épinards paaloungo, du poulet koukhourraako maassou ou du mouton bhédaa selon la demande, le tout cuisiné au curry garame massalaa et évidemment les lentilles dal, principale source de protéines de l’alimentation ; les ingrédients qui varient selon les jours et les endroits. Les népalais mangent avec les mains, ils font des boulettes de riz et des différents légumes tarkari et les trempent dans la sauce, mais ici ils donnent des couverts. Toutefois manger avec la main droite est bien agréable et permet souvent d’avoir du « rab ». Et je régale mon palais d’une Everest  en pensant au toit du monde, d’autres sont fidèles à la San Miguel, les bières locales. Vers 17 heures, briefing avec Basu, Shree, Kiran notre futur guide, Chyanba le chef cuistot  et Karsang sirdar (accompagnateur) qui rentre juste d’une expédition au Tibet. Le soir se sera un repas au restaurant Rhum Doodle dans Thamel en compagnie de Basu, un dernier bon steak avant longtemps. La célèbre terrasse du Rhum Doodle a retrouvé ses touristes et son agitation coutumière… C’est ici que les trekkeurs viennent accrocher un pied en carton pour célébrer et immortaliser leur aventure.

Demain c’est le grand jour : Il existe en effet une région qui n’a jamais fait de bruit : le Manaslu. Faisons le compte rapidement. Il est plus haut que l’Annapurna et plus spectaculaire que l’Everest. Il n’y a qu’un col à plus de cinq mille mètres à traverser mais ce passage-là, plusieurs ont dit qu’il n’avait aucun égal dans tout l’Himalaya. Au pays du toit du monde, on oublie trop souvent qu’il y a autre chose et que ces trucs - là ont aussi parfois plus de huit mille mètres. Et pour les rejoindre, des chemins autrement plus déserts et qui se méritent et c’est là que notre circuit autour du huitième sommet du monde va  nous emmener et nous avons hâte d’y être…

Après avoir pris acte de l’heure du réveil et du petit déjeuner, il est grand temps de se coucher pour être en forme et profiter au mieux de notre dernier lit que nous ne retrouverons que dans dix neuf jours ….

Premier jour de marche

6 octobre, lever 5 h 30.

Excellente douche chaude et petit déjeuner royal dans la salle de restaurant de l’hôtel Harati et puis c’est le chargement du bus dans la cour de l’hôtel, (il y a déjà dedans tout ce qu’il faut pour le trek : les tentes, les matelas, les ustensiles de cuisine, les réchauds à kérosène, la bombonne de kérosène, et les stocks de bouffe pour 18 jours !), il ne reste plus à charger que nos sacs. Le départ est donné à 7 heures, nous sommes dix huit car onze népalais faisant partie du staff d’Exotic trek sont avec nous, tous correctement habillés, des amis qui m’ont déjà accompagné pour la plupart dans le Royaume du Mustang… Direction la route de Pokhara… sortie de la vallée de  Kathmandu et plongeon dans la vallée de la Trisuli dont la source est au Tibet et qui draine le massif du Langtang. Une pause thé tchiya vers 10 h puis une pause Dal Bhaate sur le coup de midi, dans un restaurant de routier à Moogla, ici l’hygiène est aux abonnés absents. Mais au bord de la grande route, il ne faut pas trop en demander ! Espérant que la « tourista » dissaa laaguiyo ne sera pas au rendez-vous dans les prochains jours.

Nous arrivons à Gorkha (1087 m) vers 14 h 30C’est une bourgade qui au XVI° siècle a joué un rôle important. Dans cette vallée prospère, coexistaient trois petits royaumes de la dynastie des Mallas : Bhatgaon, Kathmandu et Patan. Les « roitelets » de Gorkha originaires de l’Inde, ont quitté le Rajasthan pour se fortifier dans ces montagnes. Après avoir soumis les populations locales, ils imposent leur foi hindoue. Vers le milieu du XVIII° , le souverain de Gorkha  Prithvi Narayan, soumet les trois rois voisins et unifie le Népal. Les gens de Gorkha trustent les places et forment l’ossature militaire du nouveau pouvoir. Prithvi Narayan et ses successeurs, multiplient les conquêtes. Au temps de Napoléon 1er, le Népal était presque deux fois plus vaste qu’aujourd’hui. Londres décide alors un coup d’arrêt. Le Népal échappe à l’occupation anglaise mais perd le Sikkim, le Darjeeling et d’autres provinces. Les anglais ayant remarqué la bravoure et la férocité des soldats gurkhalis avec leur fameux khukri, long coutelas, qui a le poids d’une hache et le tranchant d’un rasoir proposent d’en recruter pour défendre leurs territoires… Aujourd’hui, cette ville est devenue un fief des révolutionnaires maoïstes…

Après cette petite pause historique, il est temps de revenir à notre aventure… Notre car s’arrête sur une place près d’un immense banian, l’arbre sacré sous lequel Bouddha, le prince Siddhârtha a prononcé son premier sermon après avoir été illuminé à Sarnath près de Varanasi en Inde. Une foule s’agglutine … Nos porteurs sont là… toute une troupe de tous les âges certains nous semblent être très jeunes et d’autres très vieux, parmi eux une jeune femme ! Mais peut-on deviner l’âge d’un porteur Tamang ou Gurung ?  Les appareils photos tasbir crépitent déjà… Les affaires sont déchargées rapidement, certaines sont mises dans les dokos (panier en osier) portés à l’aide d’une sangle frontale appelée « namlo ». Nos sacs eux sont ficelés par trois ou quatre et portés à l’aide du namlo.

Première étape du trek : Grimpée jusqu’au palais - forteresse du roi  Prithvi Narayan Shah, père de la dynastie au pouvoir et héros national népalais et aux temples qui surplombent la ville ( altitude 1320 m ). Premières marches d’escalier à escalader dans la chaleur… On ne doit pas être loin des trente degrés… premières suées… premières pauses à l’ombre des grands pins… premières appréhensions pour les jours futurs…

Mais c’est un grand moment que nous savourons à sa juste valeur ; nos chaussures djouttaa ne sont pas encore marquées par les cailloux du chemin, et nos muscles sont pour le moment en rodage ! Pour ceux qui en ont ! Mais pour cette « balade » il vaut mieux en posséder… Une statue à l’effigie du roi de Gorkha… Plus loin un petit sanctuaire dédié à Ganesh, fils de Shiva et Parvati dont la tête tranchée fut remplacée par celle d’un éléphant, son véhicule est la musaraigne et il est entre autres : dieu des voyageurs… Des petits arrêts qui nous font du bien…

Le sommet est là, plus que quelques marches… C’est la fête, la plus populaire du Népal « Dashain » dans les deux temples consacrés à Gorkhanath et à Kali. Il faut retirer ses chaussures pour pénétrer dans l’enceinte, laisser ses appareils photos et tous objets en cuir.  Le groupe n’y restera pas longtemps car il arrive en pleine cérémonie de sacrifices de buffles bhaissi et de chèvres bokaa. Le sol est  noyé du sang ragate des bestiaux égorgés au son de gros pétards ou de coups de fusil assourdissants… vous imaginez sans chaussure. Moi, ayant découvert ce lieu il y a quelques mois, je suis resté à l’ombre avec les affaires et je ne suis pas mécontent.

Le spectacle, pourtant haut en couleurs et en odeurs n’emballera pas mes amis. Et leur retour rapide, ne me permit pas de faire la sieste sur mon banc. Nous longeons la forteresse mais au passage nous pouvons admirer les magnifiques huisseries du palais Gorkha Durbar de style newar sans retirer nos chaussures cette fois. Des sculptures érotiques ornent les soubassements des toits ; et nous basculons ensuite dans la vallée au Nord. Après quelques marches, la statue du Dieu Hanuman couverte de rouge vermillon nous fixe… à coté une grosse cloche suspendue sert aux adorateurs à annoncer leur passage Les dieux sont omniprésents au Népal, il paraît qu’il y en aurait des millions et c’est par une belle allée recouverte de dalles qu’on arrive sur un petit plateau herbeux qui sera notre premier campement à Bhogteni - 1312m . Face à nous, adossé à la colline trône une immense balançoire fabriquée à l’aide d’immenses bambous baasse. Elle est dressée pour cette fête de Durga Puja autre nom de Dashain. Des adultes et des enfants s’y amusent, le pays tout entier vibre dans une joyeuse atmosphère durant cette période qui sera suivie de la fête des lumières, Tihar ou Dipawali ; les maisons ghaar seront alors illuminées la nuit raati et différentes sortes de confiseries seront préparées durant ces cinq jours.

Maintenant, c’est le défilé des corps sans tête de buffles ou de chèvres portés à dos d’hommes, la tête couverte d’un plastique afin d’éviter d’être recouvert du sang qui continue de couler du cou des animaux décapités. D’autres lorsqu’ils sont trop gros sont tirés par les pattes à même les dalles jusqu’au village où ils seront dépecés afin d’être consommés  ou séchés pour d’autres repas car ici le congélateur n’existe pas. Le fait de manger de la viande maassou est synonyme de fête et de richesse, le Dal bhaate en dehors de ces dernières n’est servi qu’avec des légumes sauf pour les personnes riches qui se font très rares dans ces villages de montagne himalphade.

C’est l’heure pour certains de faire un brin de toilettes ; une fontaine djharnaa n’est pas très loin ;d’autres viennent avec moi pour faire le plein des gourdes  pour demain. Entre les deux, des femmes et des enfants du village se succèdent pour  remplir leurs seaux ou jarres car ici l’eau courante n’existe pas dans les maisons et l’électricité aussi est très souvent absente. Une vieille femme, pieds nus, portant dans son doko une jarre en laiton, nous regarde avant de se rendre à la fontaine, son nez est percé d’une boucle dorée.

De retour au campement, je constate un manque d’équipement chez les porteurs bhariyaa et demande à Kiran , notre guide d’examiner leur groupe et d’évaluer leurs affaires. Basu m’avait dit que ces derniers avaient du recevoir de l’argent pour s’équiper, pour ma part, je les trouve mal chaussés, mal équipés au niveau vestimentaire. Alors, ont-ils ce qu’il faut pour la haute altitude et le franchissement du col dans leur petit sac, je doute. La majorité dit que oui. Mais le doute est vraiment permis… J’insiste auprès de Kiran qu’il s’assure que tous auront le minimum d’équipement pour le froid djaado et la neige hiou. C’est très important pour leur sécurité et aussi pour la réussite de l’expédition… Je crains que l’argent roupiyaa/païssa pour leur équipement ne soit parti pour autre chose ?

Premier apéro préparé par Bernard : un tit punch avec citrons verts et sirop de sucre de canne, première chanson de Bernard qui sera l’animateur permanent du groupe.

Premier repas préparé par l’équipe de cuistots - porteurs conduits par le chef Chyanba :  surprise : c’est très bon ! voire excellent comme dirait mon ami Jean-Marc !  De plus nous sommes installés autour d’une table, cela aussi est excellent pour nos vieux os…

Première nuit sous la tente paal… Il ne fait pas froid….

La nuit sera ponctuée par les aboiements de chiens koukour et le bruit des fermetures éclair des tentes et des duvets pour ceux qui ont du mal à dormir ! Pour moi, pas de problème, le temps de me glisser dans le duvet et les marchands de rêve sapanaa  ou de sable passent immédiatement…

Deuxième jour de marche

7 octobre, Ghorka - Gyampesal , lever à 6 h .

Petit déjeuner sympathique préparé par les cuisiniers - porteurs (on entend le ronflement des réchauds à kérosène à partir de 5 heures. C’est qu’il s’agit de chauffer une bonne quantité d’eau tatopaani pour la toilette, les thés et la vaisselle !).

Au menu ce matin : un œuf fhoul au plat et des chapatis avec des confitures diverses. Thé, nescafé kafi, chocolat  avec ou sans lait doudhe ! C’est vraiment bon.

Il faut vite plier nos affaires dès le réveil car les porteurs attendent nos sacs ! Chaque porteur prend trois sacs plus le sien ! Impressionnant le chargement, il est vrai qu’il n’y a pas d’animaux pour suppléer au portage pour le trek dans cette région. Départ de notre caravane à 7 heures .

Nous sommes 7 « voyageurs », 27 porteurs et 5 (sirdars). Les premiers à partir sont les porteurs des tentes et des sacs djolaa, ensuite nous, les voyageurs, avec le guide et les sirdars et plus tard, les cuisiniers bhane-sé et ceux qui ont la charge de nettoyer et de porter les ustensiles. Marche jubilatoire par les collines daadaa du pays Gorkha qui a connu comme je l’ai expliqué précédemment des guerres continuelles et qui depuis 1996, est un sanctuaire de la rébellion maoïste. Temps assez chaud avec alternance de soleil sourjé et de nuages baadal. Et quand le soleil tape, c’est très fort !

Les paysages sont très beaux soune-dar, avec des rizières en terrasses partout. Le chemin est éboulé par endroits, signe d’une forte mousson ! On apprécie ce paysage rural d’un Népal nature très travaillé. Il y a du monde partout, dans les champs maïdaane, les rizières, sur les chemins ! En contrebas un homme laboure sa parcelle en terrasse à l’aide de deux buffles et d’une charrue en bois dont seul la pointe du soc est en fer ; c’est notre araire médiéval ! Le long du sentier, des bananiers, des papayers, et d’autres essences d’arbres maintiennent les talus qui subissent parfois les égarements de la mousson.

Deux bufflent s’ébrouent dans une mare de boue sous les caresses du soleil, un autre broute l’herbe.

Nous nous arrêtons à Ahale dès 10 h 45 dans la cour d’une école skoul au sommet d’une colline (pas de classe aujourd’hui à cause de Dashain). Les cuisiniers sont déjà au travail pour nous préparer le repas de midi. Nous sommes l’objet de la curiosité d’une bande d’enfants rieurs et dépenaillés.  Repas succulent, un peu de repos et c’est reparti sur un beau chemin de crête jusqu’à Kanchok où nous faisons une pause roknou thé, cette fois. Des pub Coca Cola fleurissent aux façades des balcons en bois, des stocks de bois sont dressés sous les auvents. Ici, les femmes portent de gros tikas rouge fabriqués avec des grains de riz, la fête de Dashain.

Grimpée tchadnou impressionnante et suante jusqu’à Gyampesal où nous stationnons pour la nuit sur un promontoire ouvert sur tous les horizons chitidje.

Les sirdars (Netra, Babu et Kharsang) viennent de faucher l’herbe djhaar/haasse pour préparer une aire de camping pour les tentes de couchage. Nous avons aussi une tente mess (capacité dix personnes voire plus) qui nous permettra de moins souffrir du vent, du froid certains soirs et matins.  On s’y retrouve pour l’apéro et le repas  du soir à la lueur de deux grosses bougies maïnebatti et l’appoint de nos frontales. Deux tables taboul/tébeul métalliques et des pliants et la tente devient bureau, table à cartes naksaa, et table de jeu, et naturellement table de salle à manger aux chandelles. Nous avons aussi une tente WC, avec une fosse creusée dans le sol par nos sirdars. Cet endroit est très fréquenté certaines nuits !

Soirée très courte sous la tente mess  ; une petite chanson de nanar et au dodo à 20 h .

Vers minuit une averse violente nous tombe dessus enfin sur les tentes sauf pour Bernard et Pierre . dans leur tente, l’eau ruisselle sous le toit, des gouttes tombent sur leur duvet et sur leur matelas dasna.  Apparemment c’est la seule tente du groupe à avoir ce problème, enfin je l’espère pour la suite. Il faudra la repérer et la laisser à une personne seule car trois voyageurs dont moi-même ont la chance de bénéficier d’une tente individuelle, les fuites dues à un mauvais entretient seront plus faciles à gérer si nécessaire.

Troisième jour de marche

8 octobre, Gyampesal – Talagaon (2000m),  8h de marche

Magnifiques paysages agricoles de rizières et de cultures de millet. Toujours ces superbes escaliers des terrasses cultivées d’un vert tendre à rendre jaloux l’aquarelliste… Le chemin grimpe beaucoup, et redescend aussi bien souvent. On est sur une ligne de crête avec de magnifiques ravins de chaque côté, mais sans réel danger khastara. Nous arrivons à Deurali, un village gaon assez important, certains murs parkhaal sont ornés d’affiche de propagande maoïste, montrant la fuite du roi avec sa valise devant le peuple. Beaucoup de monde dans la rue principale, un Népalais porte dans son dos accroché à sa ceinture sa faucille dans un très bel étui en bois brut décoré d’une fleur gravée en son centre.

On traverse de nombreux petits villages où nous sommes une véritable attraction. Les enfants se mettent en rang pour la photo tasbir, restent docilement en place jusqu’au moment où ils viennent contempler leurs visages sur certains écrans numériques en poussant des exclamations enthousiastes. En quelques minutes l’attroupement est impressionnant et ceux qui n’ont pas eu le temps de faire leur photo en sont pour leur frais.

Nous arrivons à Sulikot, beau village où peuvent parvenir des motos, il est aussi  desservi par un car qui arrive par un chemin défoncé qui ne doit pas être praticable lors de la mousson. Nous dégustons un thé devant une auberge, Kiran me demande de le suivre à l’intérieur en me disant qu’il y a des maoïstes qui demandent la « donation révolutionnaire », je préviens Albert et nous allons discrètement à leur rencontre à l’intérieur.

Trois de nos amis népalais discutent déjà avec trois jeunes femmes souasni maane-tché de la somme qui va nous être demandée ; Elles n’ont rien de méchant semble-t-il ? tout cela se passe calmement, pas d’armes apparentes, seulement un carnet avec des reçus qui serviront à mettre les sommes demandées pour aider la révolution. C’est très officiel. La négociation, m’amène à verser 1100 roupies pour chaque voyageur. Comme cela ne faisait pas un compte rond, Albert versera une obole supplémentaire. A ma demande comme souvenir, les femmes me remettront des tracts et des affiches et évidemment les reçus frappés de la faucille et du marteau que je distribue à chacun et surtout qui doivent être conservés jusqu’au bout sinon il faudra repayer, car des contrôles auront lieu durant le trek selon Kiran.

Nous montons des marches, en haut un enfant cul nu sur un banc en bois, nous fait un signe de namasté les deux mains jointes. Nos porteurs sont aussi là en train de faire une pause thé.

Vers 11 h , pique-nique au col de Gajikhani  (1711m), village perché pas très loin de Sulikot…

Quelques maisons, un petit commerce et une salle couverte où on peut se mettre à l’abri du soleil sourjé ou de la pluie paani…c’est selon...

Puis on reprend le chemin en montant de plus en plus. Cette journée nous paraît bien longue. D’énormes araignées attendent leurs proies au milieu de leurs toiles de dentelle. Cela permet à certains de faire des pauses clic clac mais beaucoup en ont déjà plein les godasses, des escaliers népalais interminables, et le groupe est très étalé le long du sentier, parfois glissant. Dans ces moments là, beaucoup de choses se passent dans la tête, qu’est ce qu’on fout là se dit-on ? C’est là que la force intérieure doit émerger rapidement sinon c’est la cata…

Et si le ciel a la voix qui tremble aujourd’hui c’est que ses larmes ne vont pas tarder à couler pour immortaliser nos capes.

Enfin nous arrivons au campement sous une pluie fine, petite esplanade sous un groupe de maisons. Le coin est infesté de sangsues djougga. Nous en attrapons presque tous, enfin c’est elles qui nous attrapent, ces petites sortes de vers se tortillant comme des danseuses du ventre pour mieux vous envoûter afin de vous sucer le sang ragate et en cas de décrochage malencontreux de laisser leurs « griffes » dans votre peau qui peut ensuite s’infecter.  Elles s’infiltrent à travers les chaussettes modjaa alors qu’elles sont fines comme des aiguilles et pratiquement invisibles. On ne sent rien, mais quand on retire les chaussettes on les découvre maculées de sang. Parfois on retrouve les bestioles décollées de notre peau, repues et gonflées au fond des chaussures. Jean  est bien embêté avec deux suçons qui ne cessent de saigner.

Bernard se paie une glissade impressionnante dans la plate-forme du point d’eau lors du remplissage des gourdes à l’aide des filtres. Rien de cassé. Mais son short est dans un état ! je ne vous le dis pas !

Pour la corvée d’eau potable : Le rite à accomplir se déroule plutôt le soir !  Il faut trois opérateurs sinon quatre :

Le premier va pomper l’eau dans le filtre. Le second remplit la poche d’eau et la présente au pompeur en maintenant la trémie enfoncée jusqu’au fond du sac. Le troisième maintient le bidon réceptacle de l’eau filtrée. Le quatrième remplit au fur et à mesure les bouteilles, gourdes et autres récipients. La corvée dure environ une demi-heure pour une dizaine de litres d’eau filtrée. Mais quelle bonne eau !

Ensuite, dîner sous la tente (encore une fois c’est très bon ; on ne va pas maigrir comme d’habitude avec ces cuisiniers ! ) ; au moment d’aller nous coucher des trombes d’eau s’abattent sur le pays, un orage terrible. En peu de temps le sol se met à ressembler à un fleuve ; des ruisseaux traversent le campement de part en part.

Un coup de vent menace de faire envoler la tente « mess » que Pierre et Bernard retiendront par les pieds. Les haubans se sont détachés ; et ils appellent Netra au secours. Je l’apprendrai le lendemain car je dormais déjà.

La pluie frappe la toile de la tente, la nuit fraîche s’installe au-dessus du campement. Nous sommes à 2000mètres.

Quatrième jour de marche

9 Octobre, Talagaon – Nambai Kharka , 7 h de marche

Il y a eu beaucoup de bruits halaa de fermetures éclairs cette nuit. La « tourista » a fait son apparition dans le groupe.

C’est au tour de Jean et Albert d’avoir eu des soucis avec l’eau dans la tente. Apparemment l’eau qui dévalait le camp est passée au travers de leur tente et au petit matin, c’était un peu la « cata » dans leurs affaires, bénédiction du dieu de la pluie qui sait !

Superbe chemin de crête qui monte tout le temps. Paysage de forêt  djane-gueul/bane vierge avec beaucoup de très grands arbres roukh couverts de plantes parasites : Jean, notre botaniste en chef repère des magnolias et des orchidées, des fougères et des mousses impressionnantes.

Nous marchons dans la brume, dans une atmosphère chargée d’humidité. La progression est un peu pénible, mais il ne fait pas trop chaud et c’est supportable.

Pique-nique à un col superbe sous le soleil (Yala Kharka 2780m). Ici pas d’abri, nous essayons de nous prémunir des rayons en étendant nos tee-shirts sur des bouts de bois ; Il y a beaucoup d’orties, et nos cuisiniers en font la cueillette pour remplacer les épinards du Dal Bhaate. Certains profitent de l’ensoleillement pour faire sécher quelques pièces de linge… préoccupation qui va devenir régulière sur le trek. Notre défilé va de plus en plus s’apparenter à une exposition de sous-vêtements plus ou moins bien lavés car certains feront des lessives régulièrement ou plutôt essayeront de faire sécher ces dernières. Excellent repas avec de très bonnes frites !

On repart en grimpant toujours plus dans une jungle où poussent de nombreuses essence de fleurs et d’arbres. Jean est aux anges !!!

On passe le col de Dharchy à 3160 m (altitude donnée par le GPS de nanar) 3227m sur  la carte. Deux groupes se sont formés durant cette montée…. Peut-être la fatigue et la « tourista » pour certains…. Les deux groupes ne feront la jonction que près du campement. Nanard pousse une gueulante : deux thèses sont discutées, la première défendue par Bernard « s’attendre plusieurs fois dans la journée » l’autre par moi-même « chacun marche à sa vitesse, et on se retrouve en fonction des possibilités mais au minimum le midi ou pour les poses thé » sachant que chaque groupe ou voyageur isolé est toujours accompagné d’un sirdar par sécurité. Les deux thèses seront mises en application durant le trek….

A partir de là-haut, le chemin redescend (ben oui !) et devient assez facile sur une pelouse alpine de toute beauté. Le sol est très raviné par endroits. La pluie intervient avant l’arrivée et nous devons porter pour la première fois nos capes durant un moment.

Arrivée à Nambai Kharka vers 17 heures ; c’est un petit hameau situé à 2700 m sur une petite esplanade face à une grande vallée, sur les toits tchaanaa sèchent des courges fharsi. Le paysage y est superbe. Nous campons dans les parages d’une petite ferme khéti, le soleil est revenu…

Nuit froide, mais sans pluie.

Cinquième jour de marche

10 octobre, Nambai-Kharka – Laprak 2200m , 4 h de marche,  départ 7H

Réveil enchanté par la découverte à l’horizon Est des cimes des Ganesh Himal. On devine quelques neiges et de hauts sommets vers le Nord, mais ce n’est paraît-il pas le Manaslu. Nous ne le découvrirons que dans quelques jours, vers Lho.

Thé à la tente et cuvette d’eau tiède pour la toilette sommaire du matin, cette « coutume » est appliquée tous les jours durant le trek, certaines demanderont parfois une cuvette le soir. Aujourd’hui nous serons de bonne heure à Laprak notre prochaine étape ; certains adeptes de la propreté pourront y faire une toilette plus conséquente. Moi, je suis toujours convaincu qu’il vaut mieux dans ce type de région à éviter de trop se mouiller…

Parcours en descente, et qui dit descente dit montée future : appréhension. On traverse plusieurs torrents sur des ponts plus ou moins agréables mais jamais au péril de notre vie. On croise des groupes de femmes qui vont aux champs (parfois des parcelles aux pentes vertigineuses !) ; elles sont toujours très souriantes et avenantes et se laissent photographier sans souci… Netra fait la causette avec les belles jeunes filles, et les fait bien rire. Quel charmeur !

Arrivée à Laprak en fin de matinée. C’est un gros village de 500 maisons et 2500 habitants. Cette région est habitée essentiellement par les gurungs, ethnie de langue tibéto-birmane. Ils vivent sur les flancs des grands sommets du Népal central, depuis l’Ankhu-Khola à l’Est, jusqu’aux crêtes qui séparent la Kali Gandaki de la Modi Khola à l’Ouest. On trouve aussi des gurung dans l’Est du Népal.

Ils sont plutôt de petite taille, aux traits anthropologiques mongoloïdes, à figure ronde et yeux aakhaa  à bride accentuée. Très peu de mariage bihaa se pratiquent en dehors de l’ethnie.

Les populations Gurung se divisent en deux groupes : « les quatre clans, charjat et les « seize clans », sora-jat ; les premiers se considèrent de statut plus élevé que les seconds.

L’économie Gurung repose sur l’agriculture et l’élevage essentiellement ovin avec transhumance, ils contrôlent en partie les échanges aux débouchés des hautes vallées de la Marsyandi et de la Buri Gandaki. Beaucoup de Lapraki font le métier de porteurs pour les treks ou le transport de denrées (http://strates.revues.org/document622.htlm)

Nous n’avons pas eu la chance d’assister à un mariage mais selon la coutume le jeune marié est assis sur une svastika (signe mystique hindou et bouddhiste symbolisant l’impermanence, la roue de la loi et la doctrine bouddhique en général. Les nazis s’en sont inspirés pour créer leur croix gammée) dessiné avec du grain face à son intercesseur. En général, il épouse la fille tchori de la sœur didi de son père baa/boua ou la fille du frère daï/dadjou de sa mère aamaa. Il faut suivre…Le jeune homme logue-né maane-tché informe sa famille de son choix et c’est son oncle kaakaa qui fait la demande en mariage ; on simule un enlèvement pour amener la jeune fille dans la maison de son futur époux, puis une cérémonie consacre cette union en présence de toute la communauté. L’intercesseur - médium, le jhãkri, par ses prières est chargé de protéger les jeunes mariés, en récitant des invocations aux divinités protectrices du lieu ; Ensuite, les plats circulent….et évidemment le tchang, bière d’orge et d’orgie, le rakshi, l’arak….

Nous camperons dans la cour de l’école sous les regards médusés des enfants. Aujourd’hui, il y a classe et la quasi-totalité des élèves sont présents.

On profite du temps de repos, généreux aujourd’hui ; certains font une lessive, les mêmes se lavent aussi. Mais la petite pluie du jour ne facilitera pas le séchage comme d’habitude. Le village est superbe.

Deux parties le constituent : le haut avec les écoles séparées par un escalier impressionnant, et le bas, à 300 mètres au-dessous où se trouvent les maisons couvertes de bardeaux de bois kaate,  entassées les unes sur les autres dans un dédale de ruelles étroites le tout dans un dénivelé impressionnant. Nous partons à sa découverte…. Nous apercevons aussi des séchoirs à maïs makaï.

De l’eau ruisselle partout.  Les enfants kétaakéti nous accompagnent en courant et en sautant, là où nous cherchons à poser nos pieds avec prudence sur le sol et les marches mouillées de l’escalier créé par les villageois ….

Laprak nous est également connu par l’association «les amis de Laprak» (www.amis-de-laprak.com) qui a financé l’école pour une bonne part et qui parraine actuellement les 610 enfants scolarisés…

C’est un village très propre et nous serons toujours reçus avec le sourire et le « namasté ou le tashi deley » de bienvenue, toutefois on ne trouvera pas le « bistro » du coin… On découvre néanmoins quelques épiceries qui vendent le nécessaire pour la survie du village.  La remontée est plus difficile faute de carburant et oh ! surprise l’auberge bhotti était juste située à la sortie coté droit de l’école, la San Miguel à 160 roupies est à l’honneur même prix qu’à Kathmandu, nous invitons quelques amis népalais à la dégustation du breuvage, certains préfèrerons la drogue américaine le « coca cola » que j’ai toujours du mal à payer et que je n’ai toujours pas consommé, c’est une question de religion dharma. Puis, soirée apéro avec le whisky local, agrémenté de saucissons secs et de pop corn la potion magique de Jean fabriqué par les cuisiniers.

On se met à chanter « A Recouvrance » tous en chœur. Cela a bien plu aux amis Népalais qui du coup sont venus nous donner une aubade. Il est vrai que le tchang bière fabriquée à base d’orge fermenté et le rakshi de Laprak ont fait des émules. On fait aussi de l’arak, un alcool à base de pommes de terre ou de céréales fermentées.

Kharsang, Netra et Police nous chantent « Dhan kiriri » et « Khalkate Kayo », les plus emballés nous ont entraînés dans une danse loknaatche à la népalaise avec des gens du village et les porteurs.

Repas agréable et bien préparé comme d’habitude, dodo à 20 h pour mes compagnons, moi 19H30….

Ce soir, une femme souasni maane – tché est venue nous monter son bébé babu largement brûlé. Nous faisons un soin de première urgence et nous lui donnons des crèmes et de la bétadine pour soulager l’enfant, Kiran sert toujours d’intermédiaire pour donner les explications aux personnes qui viennent nous voir. Lui conseillant néanmoins de voir un médecin daakteur dès que possible. Il nous arrivera souvent de faire dispensaire improvisé le soir à l’étape.

Sixième jour de marche

11 octobre,  Laprak – Khorlabesi - 970m , 9h de marche

Le départ de 6 H 30 est retardé car la famille de mon petit protégé est venue me faire des cadeaux oupahaar, des œufs fhoul et du millet… Quelques photos et nous partons à  7 h. La femme qui était venue faire soigner son enfant la veille nous attend sur le bord du chemin avec une bouteille de rakshi « alcool de riz fermenté » ; Eh oui ! Ici la gentillesse est toujours de mise….

La journée commence bien, par une descente vers un pont poul suspendu pour traverser la Machhi Khola et une remontée à flanc de montagne, progressive et modérée, toujours dans un décor de cultures en terrasses vertigineuses. Mais un de nos porteurs s’est déchiré un muscle de la cuisse et pour lui le voyage se termine ici. Nous lui donnons des anti-inflammatoires, une genouillère et l’argent du pourboire. Il devra à l’aide de son bâton remonter au village, se reposer et puis repartir vers Pokhara nous l’espérons pour lui. Nous pensons que son alcoolémie largement au-delà des limites, les jours précédents, y est sûrement pour quelque chose mais cela fait partie des fléaux pour ces porteurs de charge comme le jeu d’argent lors des parties de cartes durant les treks…

Vus de loin, les porteurs  ressemblent à des fourmis kamilaa minuscules échelonnées au flanc de la montagne sur un sentier en corniche fabuleux, superbes cascades. Les villages de Laprak et de Gumda sont incrustés dans un  décor coloré impressionnant, les appareils photos chauffent et permettent à nos cœurs de se reposer durant ces poses… Mais nous avons une pensée pour le porteur blessé qui va souffrir pour retourner chez lui. Au retour, nous aurons malheureusement confirmation pour cet homme qui aura du mal à refaire son métier.

Notre groupe ressemble à un défilé de séchoirs : Françoise a ses petites culottes kattou de couleur au vent, Nadine ses chaussettes, Pierre un t-shirt, Albert aussi, Bernard chaussettes d’un côté, serviette roumaal de l’autre et t-shirt dessus., mais pour moi aucun linge n’apparaît ; ce dernier est comme moi il n’aime pas l’eau… de plus ma compagne du Mustang n’est pas là pour le plier !!!… Et cette petite intention marque un homme, lorsqu’on rencontre une personne comme cela qui vous plie votre linge sans rien dire… ça ne s’oublie pas !!!

Après 4h30 de marche sur des petits sentiers baato sculptés sur le flanc des collines, c’est enfin l’heure du pique-nique dans la cour d’une école, Jean a sorti son livre kitaabe sur les plantes biroua népalaises acheté dans Thamel, de nombreux enfants l’entourent et regardent les photos, certains vont même lui chercher des fleurs qui correspondent aux images…

L’après-midi, nous recommençons à monter encore un peu. On passe un gros village Singla du même style que Laprak mais nettement moins joli, puis on entame une descente assez impressionnante, le paysage est toujours aussi verdoyant. En quelques heures, on passe de 2200 mètres à 970 m et vers 15 heures la pluie est de retour ce qui rend la descente encore plus périlleuse. On glisse sur les marches de pierre mouillées, ou sur la terre verdie de mousse humide dans les rizières ou les champs de millet. On ne compte plus les chutes ; Albert étant le recordman du jour. Les pantalons païnte sont dans un triste état. Les appareils photos ne garderont pas beaucoup de trace de cet après midi et pourtant la nature luxuriante était au menu…

Nous déjeunons à même le sentier qui est un peu plus large à cet endroit, après avoir passé une mare d’eau qui sera fatale à quelques-uns uns, mais rien de grave. Une nouvelle fois toujours extravagante Françoise s’y trempera et surtout nous serinera les oreilles kaane de son « aventure » . Le repas une nouvelle fois nous est servi en plein soleil… la cuisine s’effectue près d’un moulin à moudre les céréales activé par l’eau qui descend de la falaise. Au moment de repartir, des bestiaux venant boire à la mare sont surpris par notre présence et paniquent. Leur vachers auront un travail considérable pour les regrouper.

Nous continuons à monter jusqu’à un arbre, un chörten réceptacle de culte annonce la descente vertigineuse sur Khorlabesi…

Cette étape a été très difficile aujourd’hui à cause du terrain et de la pluie. De plus on a redescendu tous les mètres qu’on a eu du mal à gravir les jours précédents ; et dire qu’il faudra les remonter dès demain ! Le moral de certains faiblit rien qu’à y penser….

Arrivée à Khorlabesi - 970 m. On campe près de la Buri Gandaki, rivière quasi torrent ici qu’on ne quittera plus jusqu’à sa source sous le glacier du Larkya et dont le grondement impressionnant ne nous quittera pratiquement plus. Jean comme d’habitude est le premier dans l’eau et profite de la puissance du torrent pour se faire une petite cure de thalasso sans sécu… d’autres suivront mais dans des conditions plus cool….

Le repas sera pris cette fois dans la pièce d’une maison servant d’auberge…La San Miguel sera à nouveau  dégustée en écoutant notre « idole » nous chanter sa sénérade du jour, elle a pris 10 roupies de plus….

La nuit est nettement moins fraîche, nous avons perdu plus de 2000 mètres. Certains népalais dorment dehors dans leur duvet sans monter la tente.

Septième jour de marche

12 octobre, Khorlabesi – Jagat - 1340m , 6 h de marche

Aujourd’hui, malgré la basse altitude, le temps reste frais toute la matinée, Le ciel est couvert et nous avons un peu de pluie… Le linge ne sèche pas sur les sacs des passionnés d’omo… Nous traversons le village et nous marchons le long de la rivière. Ça monte pas mal mais on peut néanmoins se refaire une santé de temps en temps sur du terrain plat le long de la rivière. Les quelques maisons de Khorlak arborent de grands balcons en bois couverts de tôles ou de tavaillons.

Voici Tatopani (990m) qui signifie eaux chaudes, village aux ruelles entièrement dallées, dès l’entrée des fontaines où jaillit cette eau thermale agréable, aucune hésitation, on n’hésite pas à se laver les cheveux kapaal, un luxe pour nous… Nadine nous fait profiter de ses shampoings, elle n’hésite pas à se retrouver en soutien-gorge pour faire un brin de toilette… Mais il faut repartir après ce bonheur…   En fait cette étape est très facile après la rude journée d’hier. Le paysage ressemble à celui de la Kali Gandaki, avec un chemin qui, tantôt longe la rivière et tantôt passe en corniches en surplomb… Nous croisons nos premières caravanes de mules bien chargées… et de temps en temps nous passons près d’un « cabinet »  à mules qui sent fort l’étable !. Un pont suspendu permet de changer de rive.

Passage à Dobhan puis, en suivant un joli plateau fleuri nous arrivons à Shyauli - Bhoti 1140m, c’est là que le pique-nique s’effectuera sur un agréable belvédère dominant la vallée profonde…. Après cette halte, montée raide vers Yaruphant. Au niveau du hameau de Lauri, on franchit  la Yaru Khola puis passage sur la rive droite de la  Buri Gandaki sur un pont ancien. Le chemin se lance ensuite dans une succession de montées, longeant le lit de la rivière. Nous apercevons les toits en lauzes des maisons de Jagat, qui , comme son nom l’indique, est un ancien lieu de péage, les premiers arrivent vers 14 h 30, nous sommes au point d’entrée réel dans le Manaslu Conservation Area.

Jagat un village sympa et très propre mais beaucoup de maisons construites uniquement en pierre ont les volets clos. Le village semble vidé de ses habitants et de tous les services à cause de la guérilla qui a fait rage dans la région ces dernières années. Normalement on aurait du trouver ici une poste et un dispensaire… mais tout est clos. Sur la place, on note la présence d’un chörten bouddhiste qui sert de rond-point. Notre camping est installé au début du village, très propre et les toilettes sont en dur, il n’y aura pas de tente WC ce soir.

Seul endroit qui manque d’hygiène le robinet et l’eau qui semble très sale et le filtre qui sert à purifier notre eau va se boucher régulièrement…. Les lessives continuent à un autre robinet, cette fois je lave quelques affaires…. Ainsi que certaines parties de mon corps…. Et puis les parties cette fois de cartes commencent sous la tente  Mess, pendant que d’autres écrivent leur carnet de bord… ou tracent sur leur carte le trajet du jour effectué…. La bière est passée à 200 roupies.

Mais Pierre n’a pas trop le moral ce soir car ses genoux ghoudaa le font souffrir et c’est le moment de décider selon lui : continuer ou rebrousser chemin. Je vois avec Kiran comment résoudre cette situation si besoin, on se regarde mais rien n’émane de nos cerveaux magadje et on décide de se reposer la question demain… Quelques massages, des anti-inflammatoires et « on verra demain » nous lui disons que la nuit va résoudre le problème… Je prie Ganesh le dieu éléphant… « 0 grand Ganesh, toi dont les pattes sont si fortes, protège celles de notre ami Pierre » Om mane padme ommmm…

Chansons guite, repas succulent et puis c’est le dodo réparateur enfin chacun espère…. vers 20 H…. Tous les soirs je suis le premier à quitter la table sous les railleries (amicales) de mes compagnons mais le bruit des fermetures éclair dans les minutes qui suivent me rassure….

Huitième jour de marche

13 octobre, Jagat – Deng ou Dyang 1920m, 8h de marche, départ 6 H 45

Réveil tôt : 5 H 30…. Et là, je suis toujours le premier dehors pour rendre visite à mes amis népalais et boire un premier thé, un cérémonial qui me rapproche d’eux, je pense, et qui me permet de bien commencer la journée …

Pierre est dehors et ne parle plus de rebrousser chemin, ses genoux vont mieux, ce sera une journée-test pour lui… Nous n’aurons donc pas la réponse à la question d’hier…. !!! Mais tant mieux, cette dernière ne me manque pas…

Nous traversons le village, les dalles sont glissantes, un petit pont nous fait franchir la rivière La Pangour, une caravane de mules le passe en même temps que nous et les deux caravaniers du fait de notre présence, ont du mal à gérer la débandade de ces braves bêtes. Pierre doit faire attention à ce début de journée pour ses genoux car le terrain est vraiment glissant. C’est un chemin de rêve aujourd’hui le long de la Buri Gandaki, fleuve kholaa/nadi impressionnant de puissance et de débit, creusé dans la pierre dhoungaa ou encaissé entre des parois verticales. Le chemin passe en corniches assez vertigineuses… mais on ne s’en rend pas trop compte, tout occupés à rechercher l’endroit où poser le pied païtaalaa.

Au fond de la vallée bési pointe le nez naak des Ganesh Himal 1(ou Yanggra) et 2 (respectivement 7406m et 7150m). Beau temps, le ciel est bleu nilo.  Nous passons des ponts suspendus parfois bien branlants, rafistolés, défoncés Brrrrr… certains comme Nanard n’aiment pas beaucoup ça et il a du mal à supporter le roulis et le tangage provoqués par les autres utilisateurs qui marchent à l’autre bout et qui parfois s’amusent à voir notre nanard. Il préfère souvent suivre quelqu’un de près ou être carrément seul « Il voudrait fredonner : Je suis seul… » mais même cela ne sort pas de sa gorge de ténor… Sacré Nanar !!! Il va me manquer dans les prochains treks. Le sentier traverse deux élégants villages (Sagureli – 1440m, et Setibas (tara) – 1420m) séparés par quelques passages aériens. On s’arrête boire un thé et nous avons droit à un contrôle de nos reçus de donation par des maoïstes toujours sans menace ;superbes affiches dans le bar, j’arrive à en obtenir une après une longue discussion, proposant un peu d’argent, je crois que c’est raté mais le responsable de la section maoïste revient avec une affiche et refuse tout argent.

Maintenant une montée raide de 150 mètres de dénivelé pour atteindre le hameau de Philim (1590m), perché au-dessus des gorges, belle vue sur le village de Pansing.

Pique-nique à Ekle Bathi ou Sarsim … A l’entrée du village, une belle fontaine ; certains Népalais en profitent pour se laver les cheveux. Des locaux font de la lessive. Le pique-nique est prêt,  on a un repas comme tous les jours cette fois le menu est composé de truches « patates » aalou, haricots simi, épinards paaloungo et salami népalais.

Après le repas, petite pause et on reprend l’ascension sur un magnifique chemin qui monte en surplomb de la rivière, dans un décor de pins himalayens au niveau de la confluence avec la Shyar Chu, la Buri Gandaki bondit en cascades et cataractes piscines bouillonnantes. On marche dans un cadre qui pourrait nous faire penser aux parcs naturels de montagne de chez nous selon mes compagnons car je ne connais pas les montagnes françaises. Et oui, comme quoi la vie est étrange. Parfois mon père me disait : Pourquoi, partir si loin… ? C’est le destin, je pense… l’âme est vagabonde et compagne des dieux….

L’eau dévale en cascade le long des parois abruptes, et l’humidité envahit ces gorges impressionnantes ; mais le soleil est aussi omniprésent.  Nous passons un pont à Chumjet - 1670m et continuons à suivre la Buri qui s’oriente vers le nord-ouest. Cheminement de promenade agréable et reposante au milieu de champs de cannabis, on ne marche plus, on flotte… certains n’hésitent pas à changer d’eau de toilette en se parfumant de la sève de cette graminée… C’est le nirvana…la béatitude…la félicité…le paradis !

Puis nous entrons dans une forêt. Des bergers sont sur le chemin avec leurs chèvres. Leur regard est moins souriant que d’habitude mais tout se passe bien. Il arrive parfois selon nos guides que les voyageurs isolés soient rackettés par ces derniers dans ce secteur et ils nous avaient conseillé de nous regrouper pour éviter ce genre d’incident.

Soudain une maison en bois sur la droite du sentier dans une petite clairière entourée de pins ; devant une dizaine d’hommes sculptent des pierres de mani, des mantras et des textes sacrés sous la direction d’un maître imposant ! Un moine à droite de la maison est en train de préparer la tsampa « purée d’orge » dans une immense marmite posée sur un feu de bois pour tout ce monde qui travaille. Séance de photos, certains posent avec leur mani, le reste du groupe arrive progressivement.

On devait camper à Phewa – 1750m, dans la forêt, mais on ne s’arrête pas car la cabane est quasiment détruite et l’endroit ne paraît pas très plaisant malgré le point d’eau qui devait servir à nos cuisiniers. D’ailleurs nos porteurs qui nous précèdent ont du trouver que le lieu n’était pas assez confortable pour le camping du soir et de la nuit car ils ne se sont pas arrêtés.

Mais au détour du sentier, beau panorama sur le massif du Ganesh Himal.

Et du coup la journée n’est pas terminée, on accélère sans sentir la fatigue thakaï car nous avons normalement 1 H 30 de marche pour parvenir maintenant à Deng - 1920 m. Avec Albert on fait le parcours en 35 minutes . Deux ponts en bois annoncent l’arrivée, premier moulins à prières (cylindre rempli de mantras que l’on fait tourner dans le but de répandre sur les êtres la bénédiction qui en émane) ceux-ci sont actionnés par de l’eau qui s’écoule de la montagne. Un petit chörten avec des pierres gravées marque l’entrée  du village, une très belle pierre sculptée lorsque qu’on est dos à ce petit murs de mani.  Les quelques maisons sont garnies de drapeaux djhane-da de prières pour lutter contre les démons. Les habitants maintenant sont davantage de type tibétain. Ce soir, nous allons camper sur une petite terrasse herbeuse juste au-dessus d’un «lodge ou tea shop» plus que sommaire.

Petite chronique du « mal qui court », on ne parle plus de « tourista », les imodium et autres ercefuryl ont fait leur effet… mais le genou de Pierre ???? Eh bien ce soir, grâce peut-être aux anti-inflammatoires, ça va plutôt bien. La question du rebrousse-chemin n’est plus à l’ordre du jour. A partir de demain, d’ailleurs cette question ne se posera plus car l’aller va devenir plus long que le retour !

Ce soir nous avons le droit à une petite «San Miguel». Le prix, 220 roupies progresse en raison de l’altitude : 20 roupies de plus tous les mille mètres. Nous comprenons bien pourquoi ! Le coca atteint les 100 roupies….

Au bout de la vallée nous domine le pic Lapuchun (5960 m) situé à la frontière avec le Tibet et qui paraît tout près de nous.

Le ciel est magnifique, constellé d’étoiles. La nuit va être excellente….

Neuvième jour de marche

14 octobre, Dyang – Ghap - 2160m, 5h de marche

Lever aux aurores 5 H 30 ! Il a plu cette nuit, mais personne ne se plaint d ‘avoir des affaires mouillées. Maintenant la tente percée est bien repérée et  les « couples » l’évitent. La tente ne semble plus écouler sa petite douche permanente ; et dire que certaines ne pensent qu’à ça surtout le soir.

Par contre, le linge ne se décide pas à sécher et ceux qui l’ont laissé dehors sur les fils des tentes, en sont pour leur frais, ce n’est pas triste…

La journée comme toutes les autres commence par la cérémonie du «thé à la tente». Comme c’est agréable, je pense, pour mes amis de pouvoir déguster ce premier thé de décrassage lorsqu’ils sortent la tête de leur duvet. L’heure du thé est toujours aux alentours de 5h45 et j’ai toujours un grand plaisir avec un ami Népalais de remplir cette tradition de réveil en fanfare, de ma voix douce et chaleureuse, rien à voir avec celle de Nanard pour annoncer la nouvelle journée ( avec 15 minutes de plus ou de moins en fonction de la longueur de l’étape du matin).

Puis, c’est la bassine d’eau chaude pour les ablutions matinales (nez – yeux – oreilles – dents daate, tout au plus ; pour le reste, les lingettes sont requises). Et puis c’est la précipitation obligée pour plier les affaires, ranger le sac, vider la tente pour certains… et permettre aux porteurs de partir vite. La dernière tente à se vider est toujours la même… Au bout des dix-huit jours, cette voyageuse n’aura toujours pas compris qu’il y avait des porteurs qui attendaient dans le froid… Mais elle n’avait pas de leçon à recevoir… selon elle. Le petit déjeuner ne vient qu’après ! Mais quel petit déjeuner bihaanako khaanaa royal : dans un décor  toujours de rêve, face aux sommets enneigés ou non.

Nous avons, un œuf, préparé chaque jour d’une façon différente : au plat, en omelette, en fricassée, scrambled à la mode anglaise ( Bernard ne résiste pas à vous donner la recette 100% british : http://www.mrbreakfast.com/article.asp?articleid=17)

Des toasts grillés avec des confitures variées (de moins en moins quand même au fur et à mesure que le trek avance… la marmelade d’orange a vite disparu de la table, bientôt suivra la «mango…», du miel maha, du beurre makkhane…. Du pain paorotti ou des pancakes ou encore des chapati selon l’humeur du chef Chyanba, des corn flakes et naturellement, chocolat, café, thé avec ou sans lait.

Royal, je vous dis ! On a du mal à perdre du poids…

On prend le sentier vers 7h,  ce dernier est toujours impressionnant, il surplombe la Buri Gandaki qui gronde  au-dessous tous les jours un peu plus car le cours se resserre et le dénivelé est chaque jour plus important. Ce bruit ne nous lâche pas, même la nuit parfois pour les noctambules.

Devant nous, le Lapuchun qui est maintenant illuminé par le lever du soleil. Quelques branchages nous gardent des mauvais vents sous la lumière orangée. Passage rive gauche et montée à Rana – 2000m, nous effectuons un détour par le beau village de Bhiti entouré d’un mur de mani. Bhiti possède aussi un magnifique chorten décoré de peintures sur bois qui me paraissent très anciennes. Nous visitons le vieux gompa, toutes les entrées sont gratuites dans le Manaslu ; ce n’est pas comme au Mustang, là il fallait alléger sa bourse de 200 roupies à chaque monastère. On peut faire néanmoins une donation, le plus difficile parfois est de trouver la personne qui détient la clef, il faut interroger les villageois. Ici, on découvre des belles peintures anciennes, un gros moulin à prières, et des niches murales où sont installées des statues assez effrayantes de divinités.

 Nous sommes entrés dans une région où les signes religieux du bouddhisme vont devenir omniprésents : chortens, murs de mani, drapeaux de prières, stupas de pierres et gompas partout le long du chemin.

On franchit encore quelques ponts vertigineux, on finit par s’y habituer à la longue. Au bord du chemin, des cascades superbes (Jean prend une douche à l’occasion). Quelques pins s’accrochent, luttant contre la pente.

Une belle vue plongeante se dévoile sur la vallée de la Shringi Chu et le défilé de la Buri Gandaki. Le sentier passe au-dessus des falaises abruptes, puis descend vers le village de Ghap – 2380m que nous atteignons après une marche de cinq heures. Nous sommes un peu fatigués et surtout affamés.

Mais nous avons eu une magnifique journée ensoleillée, sentiers superbes moins de marche, les muscles et surtout les articulations se remettent des jours précédents.

Le festin arrive bientôt, toujours excellent, comme d’habitude :

- un gratin de purée de pommes de terre

- une crêpe en guise de pain

- une fricassée de petits légumes succulents

- des haricots simi verts népalais délicieux

- du salami (un peu de viande et probablement beaucoup de soja)
et pour finir

-une salade de fruits fhalfhoul ou des ananas bhouikatahar en sauce, le soir le dessert est souvent une pâtisserie préparée par Chyanba.

Nous n’irons pas plus loin aujourd’hui et nos amis népalais dressent le campement à Ghap pour la nuit dans les jardins à étages d’un lodge.

Ce soir, dernière boisson alcoolisée avant le col. On en profite pour prendre une San Miguel (ou une Everest ou une Tuborg selon l’approvisionnement un peu miraculeux de l’endroit) et un petit whisky népalais (pas trop fort : 35°).

Enfin cette belle journée ensoleillée a permis au linge de sécher sur les sacs ; en revanche, ce soir le ciel se couvre avec beaucoup de vent. Le temps est bien frais. Cette nuit, un bon orage vers vingt et une heure avec de la pluie pendant une heure environ.

Bobos : Pierre ça va… Ouf !  Nadine a des ampoules ! elle est souvent éclairée lors des treks mais aussi Kiran qui a des watts dans les chaussettes. Pour les autres rien à signaler : les urines sont claires et abondantes (si on en juge par les bruits des fermetures éclair) et les paramètres sont normaux.

Dispensaire : ce soir c’est un homme qui nous présente une profonde coupure ghao à la main hatche. Il a une telle couche de crasse noire sur et sous son bandage improvisé que le soin se réduit à un nettoyage improbable. On ne voit pas la peau tchaalaa sous la couche noire kaalo. Femmes et enfants, tous sont dans le même état, pas vraiment ragoûtant. Cela doit venir du feu aago de la cuisine dont les fumées dhouaa imprègnent tout en permanence. Beaucoup de villageois pensent que la fumée tient chaud. Le soin sera plus que sommaire. Du reste, la plaie est en bonne voie de guérison (miraculeux, d’ailleurs avec l’hygiène ambiante !) mais Kiran nous dit qu’il a mis des plantes cela vaut parfois peut-être notre médecine et si les dieux le veulent la guérison peut venir qui sait…

Demain la journée sera plus longue, alors bonne nuit, il est 19 h et oui….

Nuit marquée par l’orage la pluie et les aboiements de chiens koukour.

Dixième jour de marche

15 octobre, Ghap- Lho - 3250m, 8h de marche

Lever à 5 h 30… Je distribue le thé à la tente et eau chaude à 5 h 45. Petit déjeuner à 6 h…

Le pli est pris et les choses trouvent leur place toutes seules dans les sacs pour quasiment tout le monde … Jam-jam (en route), bistaré bistaré (doucement-doucement), voilà ce qu’on entend le matin… le départ est donné à 6 h 25…

Le ton est tout de suite donné : ça va grimper pas mal. Le dénivelé du jour dépasse les 1000 mètres. Toujours le cheminement surplombant la Buri  qui devient de plus en plus étroite et mouvementée avec une pente de plus en plus marquée. De temps en temps  nous franchissons un affluent sur un pont branlant. Un mini bief alimente parfois un moulin à prière (korten) qui tourne au rythme de l’eau. Au niveau de Suksam, on peut admirer de magnifiques épicéas géants, Jean n’hésite pas de communiquer ses innombrables connaissances tant sur les plantes que sur les arbres pour les personnes qui sont proches de lui à ce moment là ; on se régale !

Après une rude montée, on débouche sur une clairière où flottent de nombreux drapeaux de prières annonçant le village de Namrung et son monastère malheureusement fermé. Nous faisons une pause thé bienfaisante. Nous rencontrons un groupe de trois français qui reviennent du Rupina la, où ils ont galéré quatre jours dans le brouillard kouiro, tournant en rond en pleine brousse sans trouver le bon chemin. Quand ça galère, ça galère !

Nous reprenons la marche. Notre groupe avance toujours un peu de la même façon : devant, Albert et moi  parfois Bernard. Puis Jean qui musarde en faisant ses cueillettes, ses dissections de plantes et de graines et en photographiant tout ce qui pousse et qui bouge, puis Pierre qui avance à son rythme en ménageant ses genoux, Françoise avec sa démarche en « forme d’épouvantail » les deux bâtons de ski bien écartés pour éviter qu’un insecte kiraa la double dans une descente et Nadine qui commence à avoir bien mal aux pieds et qui ferme la marche avec Netra qui n’hésite pas parfois à lui tendre une main hathe secourable.

Le sentier s’élève ensuite parmi les houx, tandis que la vue se dégage sur les Ganesh Himal. Progressivement, la vallée s’élargit et les arbres se font plus rares.

Le village bouddhiste de Lihi – 2840m apparaît, perché sur un promontoire et dominé par le clocheton doré de sa gompa. On va pique niquer dans ce village, quelques maisons couvertes de toitures en tavaillons, une fontaine et de l’ombre pour moi… le paradis, je vous dis !

Le paysage est constamment marqué par les signes religieux. Beaucoup de murs de mani. Les drapeaux tibétains font souvent leur apparition .

On descend de quelques dizaine de mètres pour traverser rapidement l’Hinan Khola et nous nous lançons dans une longue montée régulière menant au village tibétain de Shyo, assez peu peuplé, belles vues sur le Ganesh puis l’Himal Chuli – 7893m et enfin, nous le voyons, majestueux, imposant, dominant le monde et notre paysage : le MANASLU ! 8163M, LE 8ème plus haut sommet de la planète. Nous  restons scotchés, fascinés ; et nous mitraillons ! Voilà celui pour qui nous avons fait tout ce chemin ! Nous avons de la chance, un quart d’heure après, il était dans les nuages. La lumière batti est dans ces moments là, la maîtresse du monde. Mais alors, quelle surprise ! Aucun autre grand sommet n’est aussi pointu et élancé…

Le monde autour n’est rien qu’un brumeux souvenir, rien qu’un lointain décor, pourtant c’est le même ciel qui  porte ces petits nuages blancs qui ressemblent aux ailes des anges.

Quelques mesures de silence et puis il faut repartir dans le vent, la poussière. Nous traversons rapidement le village important de Lho qui occupe un plateau surplombant la Buri Gandaki

Le campement est installé au-dessus de Lho – 3250m sous le grand gompa situé sur une terrasse herbeuse face au Manaslu. Cet important monastère est posé sur une haute colline au-dessus du village comme une sentinelle. On y accède par un chemin en lacets garni de drapeaux de prière et de murets. A notre niveau, un chorten et un grand mur de mani montrent le chemin.

Sous le gompa, une école de petits moines construite dans un style militaire barre hideusement la colline.

La journée a été très belle. Mais ce soir, il fait très frais ( environ huit degrés peut-être) . Pierre remis de ses douleurs doukha escalade une bâtisse en construction pour faire des photos… Certains redescendent au village avec Kiran pour une petite visite. Moi, je préfère me reposer. Et finir quelques cartes, l’endroit est propice face à cette montagne sacrée.

Je sors un bout de papier imprimé qui a souffert de ma transpiration, il est quasiment illisible. J’ai du le faire sécher : des noms, des numéros de téléphone, des adresses, des « courriels ». Chacun d’eux est un souvenir, un ami saathi, un endroit où je suis allé, quelqu’un avec qui j’ai passé une journée ou que j’ai rencontré un soir, lors d’un voyage, d’une projection ou sur un sentier. Ce sont des fragments d’un univers personnel mais qui peut être lointain et si proche à la fois dans ce lieu hors du temps. C’est toujours pour moi, un moment fort lors de chaque voyage de porter avec moi le crayon, l’épée de lumière qui me sert à me retrouver face à cette liste soutchi qui m’unit un court instant à ces moments de bonheur qui flottent doucement aux vents haoua aujourd’hui sous le regard coloré de ces drapeaux qui murmurent leurs prières à qui veut bien les entendre.

A leur retour, nos compagnons nous signalent que le monastère et une cuisine tibétaine sont superbes. L’obscurité ne va pas tarder, on décide avec Bernard qui était resté avec moi au campement de redescendre au village pour visiter ces deux lieux, et nous ne sommes pas déçus. Nous entrons dans une auberge pour admirer une belle cuisine traditionnelle tibétaine où s’affaire une femme qui prépare un thé, l’endroit est très petit mais très bien rangé ; de nombreux ustensiles de cuisine parfaitement briqués sont posés sur des étagères ou accrochés au mur. Au centre l’âtre alimenté de bouse de yack et de bois d’où sort des flammes qui lèchent la bouilloire d’eau pour faire le thé. Il fait très chaud, la pièce est exiguë ; on repart pour le monastère. Le lama est parti, nous avons de la chance, la clef saatcho est restée sur la porte. Nous ouvrons et nous entrons accompagné de Kiran que nous avons récupéré au passage. Le monastère est superbement décoré ; de nombreux livres kitaabe de prières contenant des mantra, formule sacrée énoncée en sanscrit que l’on récite de très nombreuses fois. Elles sont indissociables d’une divinité dont elles expriment pleinement la réalité. Le mantra véhicule la puissance de la divinité. Les livres de prière sont rangés dans des petits casiers laqués de rouge sombre. Il y a aussi de magnifiques représentations de divinités, des Bodhisattva – êtres éveillés qui, par compassion, renoncent, au nirvana pour aider les êtres qui souffrent. Certains sont couverts de khata, longue écharpe blanche que l’on offre dans les occasions importantes, ici aux statues, afin de recevoir leur bénédiction. Quelques vieux thangka – peinture de divinité réalisée suivant des canons stricts. Elle sert de support à la visualisation pratiquée lors des séances de méditation. L’encadrement de brocart comporte les cinq couleurs sacrées et un voile protège la peinture de la lumière du jour, soulevé lors des méditations. Sur l’autel, il y a aussi des coupelles contenant de l’eau sacrée et des tormas, figurine rituelle composée de farine pitho et de beurre représentant une divinité et servant d’offrande. Je prendrai de nombreuses photos de ces deux lieux mais la nuit commence à tomber, il est temps de regagner le campement à la lueur de nos torches…

Nous longeons le grand mur, de mani entrecoupé de chortens qui sacralisent le sentier autant qu’ils le jalonnent ;il n’est pas interdit au voyageur de poser sa pierre.

Soirée bien fraîche avec gelée toussaro blanche séto. On commence à mettre les vêtements louga d’hiver, couche après couche. Les shorts portés par certains dans la journée ont été remisés ; on a sorti les polaires, et ce soir sous la tente mess, les doudounes et bonnets font leur apparition. La soupe est vraiment le met le plus apprécié chaque soir pour les mains, pour l’estomac paite et plus on monte, plus on en reprend… et plus on sort de la tente au milieu de la nuit… c’est beau le masochisme !

La nuit s’annonce glaciale car le ciel est bien dégagé… et il souffle un petit vent aigrelet… Une nouvelle fois on se couche à 19 H...

Onzième jour de marche

16 octobre, Lho – Syalla -  Sama Gaon - 3550m, 3h de marche

La nuit a été ponctuée comme d’habitude de sorties « pipi » moutnou sous la lumière de la lune qui brillait et les étoiles caressaient dans ces instants mes paupières à peine écloses. Au petit matin, le froid est tel que nous nous levons vers 5 h 15. Le paysage est givré, le sol ressemble à un tapis de diamants et nos tentes à des parures de cristaux... que c’est beau quand le jour se lève… Il est là devant nous sans nuage rien que pour nous avec le Peak 29 – 7514 mètres en arrière plan … Le rêve !!! de dix jours de marche… une véritable offrande nous est donnée en cadeau par dame nature.

Le soleil se lève doucement et vient caresser le sommet du Manaslu. Moment magique, voir le soleil monter sur l’horizon et la montagne qui s’illumine et s’enflamme en changeant de couleur à chaque seconde. Entrez dans le rêve, allumez l’écran merveilleux.  Jaune et dorée, nous sommes tous éblouis, happés par cette lumière venue d’un ailleurs inexploré, et nos appareils de photo en position, nous mitraillons autant que possible. Mais c’est le silence qui se remarque le plus. Je ne sais pas combien de photos ont été prises dans ce quart d’heure magique, mais sûrement un bon album, une belle exposition. L’œil est fasciné par le spectacle féerique de ce géant, qui enfile son éphémère parure dorée…

Le petit déjeuner est pris avec les gants à la main pour certains, Albert semble le plus frileux…Nanar aussi a sorti le bonnet et les gants ! Le thé est aussi bon pour réchauffer les doigts que l’estomac. La tente a été retirée et nous déjeunons devant le Manaslu… Mais il faut partir, je reste seul à prendre encore quelques photos car dans ces moments là le calendrier tombe en poussière. Y’a plus d’soleil, y’a plus d’couleur, avec en premier plan ces étendards de prières et puis c’est une descente matinale dans une forêt de mélèzes. Des torrents coulent dans chaque petite vallée ; nous les franchissons sur des ponts branlants faits de troncs posés les uns à côté des autres. Mais d’une rive à l’autre, faut traverser, ne jamais regarder par la vitre arrière. Nous traversons la Damonan Khola….

Puis, nous avons une  nouvelle belle grimpette à assurer jusqu’à Shyalla – 3330m, sur le plateau. La difficulté est amplifiée par le manque d’oxygène déjà bien sensible à cette altitude. Il faut marcher à petits pas et la pente du chemin atteint souvent les 45 % au point que le pied a du mal à assurer sa prise, surtout pour ceux qui n’ont pas les bonnes semelles. Tout se passe au mieux pour Albert et moi… Mais derrière certains commencent à avoir des difficultés… Nadine avec ses trotteurs jaunes fluo, suivi de la skieuse qui ferme la marche « afin de prendre ses photos tranquillement » nous dit-elle tous les soirs… Les écarts se creusent…

Nous arrivons au village de Shyalla en passant sous un chorten en guise de porte dhokaa. La voûte intérieure est peinte de fresques bouddhistes et de divinités, sublime ! Le flash est de nouveau en activité… Ce village de maisons en pierre est constitué d’une communauté de bûcherons. Il y a du bois scié ou éclaté partout. Ici, tout est fait à la main avec les outils les plus simples : scie à refendre, herminette.

Il fait très beau… les villageois vivent aussi du portage et de l’élevage des yacks ou yaks tchaaorï gaaï. Le yack est aux himalayens ce que le lama est aux Andins : un animal providentiel . Une bête dans laquelle comme dans le cochon soungour tout est bon. Il est élevé entre 3000 et 5000 mètres d’altitude, c’est d’abord un prodige biologique. Son pelage épais le garde des tourmentes de la neige et du froid glacial. Ses sabots sont d’une extrême dureté. Il a des globules rouges trois fois plus nombreux et deux fois plus petits que les autres bovidés. Son sang capte ainsi davantage d’oxygène. Docile, il peut porter de 120 à 150 kilos durant plusieurs mois. Il reste, dans ces régions, un pilier de l’économie. Sa bouse est parfois l’unique source de combustible. De son lait, on fait du fromage tchize, du caillé et surtout du beurre fondu dans le thé ou pétri avec de l’orge pour faire la tsampa. Il est aussi étalé sur les cheveux et sur le visage afin d’éviter qu’il soit brûlé, crevassé par le vent sec, le froid, le soleil. Au temple, il est modelé en statues, puis brûlé dans des lampes. Du sous-poil, on tire des vêtements et couvertures. De sa toison externe, plus rude, des cordages, des tentes et toutes sortes de récipients. Saigné pour sa santé et pour la cuisine, abattu pour sa viande entre dix ou vingt ans, il se rend encore utile. Sa peau devient un sac de portage, semelle de botte etc…

Sa queue, enfin, est recherchée pour ses longs poils soyeux et est un objet rituel au Népal.

Ce village est peuplé de réfugiés tibétains. La religion ici est omniprésente, nombreuses pierres à mani, petits monuments bouddhistes, étendards de prières…. Ce peuple est maintenant placé sous la haute surveillance des étoiles. Un homme couvert de sa chuba, manteau traditionnel tourne son moulin à prières pour accumuler des mérites pour une vie future. Et tournent, et tournent, petits moulins à paroles, à prières : « Om mani padme hum » ( Ce joyau dans le lotus).

Les enfants habillés à la Tibétaine jouent par terre. L’air est vif ! L’objectif de l’appareil photo a du mal à choisir ces séquences d’émotions, la vallée, à présent large et plate, offre une belle vue panoramique sur les massifs enneigés. Le rouleau de la pellicule s’égraine…. Le « groupetto » arrive… On fait une pose ensemble… C’est le village de rêve de notre guide Kiran… La météo est vraiment clémente aujourd’hui alors profitons en…

Et puis, il faut quitter avec regret ce lieu magique. Mais cette fois nous abordons un chemin de plateau agréable et doux à nos petits pieds fatigués. On peut marcher sur une pelouse rase où broutent d’innombrables yaks et naks ou dris (femelle du yak en népalais). Marche accompagnée de la splendeur des montagnes environnantes.  On en oublie le mal d’altitude et du manque d’oxygène…c’est le bonheur !

Après l’illumination somptueuse du Manaslu - 8163m, ce matin, le ciel affiche son plus beau bleu ; un bleu royal qui nous fait découvrir maintenant tout autour de nous, de nombreux sommets enneigés. On discerne notamment le Shringi Himal – 7187m avec ses glaciers suspendus, l’Himal Chuli – 7893m et notre rêve le Manaslu et aussi des névés,  des moraines, des cônes de déjection…

Le chemin pénètre ensuite dans une forêt assez dense mêlant pins, mélèzes et bouleaux. Enfin nous parvenons au bourg de Sama Gaon ou Sama Gompa- 3550m ; situé juste sous le Manaslu. C’est l’heure du déjeuner que nous prenons dans la salle du Manaslu hôtel ! Ici, il y a le téléphone. Surprenant à cet endroit ! j’en profite pour appeler la France (140 roupies) comme Bernard et Jean et puis Basu à  Kathmandu pour donner des nouvelles…

Comme il est tôt, nous décidons de faire une excursion au sud-ouest du village, après déjeuner, jusqu’au lac du Manaslu (Birendra kund) – 3900m, juste sous le glacier du Manaslu. La balade au milieu d’arbustes ne sera pas facile pour tout le monde, il faut dire qu’on n’a pas du prendre le bon sentier et la grimpette est raide… Murs de pierre, murs de vent, ronces, branchages d’épineux qui nous agrippent, pour mieux nous faire savourer à leur manière notre passage dans le rêve.

Mais à l’arrivée, spectacle étrange que ce lac taal glaciaire à l’eau turquoise, alimenté par la fonte de deux glaciers. Les eaux bleu opaques et laiteuses tranchent avec le gris des roches. Jean, toujours intrépide, se baigne nu quelques secondes dans ce miroir que j’imagine glacé, mais il semble très heureux et nous on a été scotchés par cet exploit, notre ami est sûrement le seul au monde à avoir accompli cette folie, les pauvres éléments vivants qui y survivent ont du être sidéré « admirer tant de splendeur ! » à cette altitude et dans ce froid. Cela a donné un coup de fouet à Nadine qui s’est remise de son épuisement en immortalisant sur sa carte mémoire ce record digne du Guinness…au pays de lumière, ferme les yeux !

Nous rentrons à Sama Gaon par un autre chemin, cette fois-ci plus confortable à tous les niveaux. On passe devant le Pemachheling gompa mais il est fermé,  un vieux lama devant notre désarroi nous fait visiter une pièce de sa maison qui sert également de pièce de prières. Il y a de nombreux livres de prières et des divinités mélangées dans un bric–à-brac où se mêlent objets religieux, réserves de récolte et d’instruments servant à la culture.

Nous redescendons sous la  surveillance de  quelques yacks à notre site de campement…

La soirée est glaciale : nous mangeons à la lueur d’un néon faiblard dans le lodge ; les amis népalais viennent réchauffer le groupe avec chants et danses, moi je suis déjà dans mon duvet, il est 18 H 30. Et il se met à pleuvoir assez fort sur la tente, je suis bien au chaud…

A 19 H 30, j’entends des fermetures éclairs, selon la voix de Jean, son thermomètre indique cinq degrés et il pleut toujours. La nuit s’annonce fraîche.

Douzième jour de marche

17 octobre, Sama-Gaon – Samdo - 3850m, 4h de marche, départ 7H

Réveil glacial, certains ont perçu durant la nuit une certaine oppression et une sensation d’essoufflement, et nous ne sommes qu’à 3550 mètres !

Plusieurs levers dans la nuit pour chacun : est-ce l’altitude ou bien les trois bols de soupe avalés au dîner  pour se réchauffer ?

Le thermomètre de Jean affiche moins 3 degrés ; la tente est saisie par le gel. La tasse de thé chaud de Netra est particulièrement bienfaisante. En revanche, certains boudent la cuvette d’eau chaude de la toilette matinale et se contentent de la lingette ce matin. Pour moi, c’est idem…

Le spectacle au réveil est encore absolument féerique avec l’illumination progressive du Manaslu et des sommets environnants.

Départ pour Samdo vers 7h30. Détour par le Gompa de Sama-Gaon. Malheureusement il est toujours fermé, mais le Manaslu est là et quelques yaks…. Alors photos !!!!

Le temps est  frais au départ de l’étape. Le ciel d’une limpidité de cristal. Les photos seront belles car la raréfaction de l’atmosphère doit réduire le filtrage de la lumière et les effets bleutés de la distance. On part avec plusieurs couches de vêtements que l’on pèle au fur et à mesure du réchauffement. A 10 H, au soleil, nous sommes en tee-shirt ou en chemise, comme d’habitude.

Nous musardons au départ au milieu des troupeaux de yacks qui paissent un peu partout sur le plateau. Les couleurs de la végétation contrastant avec les neiges éternelles des cimes, le Ratna Chuli – 6767m et son voisin sans nom – 6892m nous arrêtent souvent pour une photo souvenir. Il y a des arbres aux baies rouges raato, d’autres au feuillage jaune pahélo doré sounaola rangue, d’autres encore, (des bouleaux, probablement) aux ramures blanches.

Nous franchissons encore quelques torrents sur des passerelles branlantes (parfois quelques troncs assemblés grossièrement) ; ce sont des affluents de la Buri que nous continuons à longer, et qui descendent des glaciers du Manaslu et du Syancho.

Nous sommes ici au plus près du Manaslu. La vue est superbe ; un yack pose devant pour la photo du prochain Jour de l’An !  Nous passons près d’une stèle en l’honneur de trois alpinistes Khazaks disparus dans le Manaslu en octobre 1990.

A Kermo Kharka (nom de lieu, mais aucune maison dans les parages, juste un campement de bergers) nous longeons un très long mur de mani. Nombreuses pauses pour photographier dans toutes les directions.

Enfin nous montons au village de Samdo,  200 habitants selon les dires, où sera dressé le camp. C’est un village de réfugiés tibétains situé au carrefour de chemins traditionnels vers le Tibet qui ici n’est qu’à quelques heures de marche.

D’ailleurs on croise parfois des caravanes de yacks chargés de produits « made in China » qui viennent tout droit du Tibet tout proche.

Le village est dominé par le Pang Phuchi qui culmine à 6335 m. (appelé aussi Samdo peak) . Le paysage est une leçon de géographie glaciaire. En face de nous, de l’autre côté de la vallée, un immense cône de déjection, de l’autre côté, le glacier avec ses deux immenses moraines entre deux parois rabotées au fil du temps. Derrière, vers le Pang Phuchi, le glacier noirci par la chute des pierres des parois, et partout les vestiges des anciens tracés. On mesure l’impact du réchauffement à voir la place laissée vide par le recul du front de glace.

Au bout de 4 heures de marche, on prend pied sur un chemin dallé ; peu après, un stupa qui est dessiné au sommet et sur ses quatre faces : les yeux de Bouddha et en leur milieu du point d’interrogation, le ek, chiffre 1 en népali ; il signifie aussi l’unité de toute vie. Le monument annonce l’arrivée à Samdo - 3850m, il  est 11 h 30. Le repas nous attend dès le montage des tentes. Nous le prenons dans le lodge, à l’abri, car le soleil tape à cette heure, mais au frais car il ne fait pas bien chaude à l’ombre…

Après le repas, une petite sieste réparatrice, bien au chaud dans le duvet. C’est la première fois que j’y succombe depuis le début du trek ; mais l’altitude probablement nous pèse et il faudra être en forme pour l’étape de demain qui présente encore plus de 600 m de dénivelé avec une arrivée à 4400 m à Dharamsala.

Après une petite heure de repos, on part à quelques uns visiter le village de Samdo, typique de l’habitat tibétain : la maison est bâtie sur pilotis, en pierres. Au sous-sol sont les animaux passou, au-dessus, une terrasse de terre djagaa battue où s’effectuent les travaux courants : actuellement on peigne l’orge pour isoler les grains des tiges en vue de préparer le long hiver qui s’annonce. Puis l’habitation sans aucune ouverture sauf dans le toit, pour laisser passer la fumée. J’imagine ce que ça doit être en plein hiver quand la neige recouvre tout !

Des paysans dans une cour battent la récolte d’orge., ici le fléau n’est pas un cataclysme, c’est un instrument manié avec dextérité par ces agriculteurs. Un peu plus loin, des femmes vannent à tout vent des grains de maïs.

Dans ces villages, on a l’impression que même le chien ne vit pas tranquille. C’est l’océan de la pauvreté ici, mais des lumières brillent toujours dans les yeux de ces habitants qui ont fui leur pays envahit par les Chinois.

Une femme assise à même le sol, a dénoué les cordons de sa robe et donne le sein tchati à un enfant sur ses genoux. On distribue des ballons de baudruche, des crayons à papier pour l’école, plus utiles, que les stylos car les enfants peuvent ainsi réutiliser les cahiers l’année d’après en gommant les écrits, des chouchous aux filles ; c’est la fête, Namasté…. Tashi deley ! Bonjour ! Visite du monastère, premiers achats chez un villageois, ici très peu d’artisanat pour les voyageurs…. Pour la première fois, je donne de l’argent à un vieil homme qui voulait me vendre des poils de yack….

Au retour, une femme nous montre son enfant (deux ans peut-être) aux boutons d’eczéma purulents et à vif ; on l’invite à venir le faire soigner au campement.

Naturellement, le problème essentiel est l’hygiène ; l’enfant se frotte avec la manche de son manteau qui est noire de crasse, la morve au nez. On effectue avec Bernard les soins de premières nécessités et nous invitons sa mère par l’intermédiaire de Kiran à se rendre chez un médecin, vu les plaies, mais est-ce possible dans ce village au milieu de nul part. En attendant, nous lui fournissons des crèmes pour apaiser l’irritation.

On a l’impression qu’ici la crasse est vertu, la propreté péché…

Repas à 18 heures puis, comme il fait bien froid, on va se mettre vite au chaud dans nos duvets. Aujourd’hui, je ne suis pas seul à partir dès la fin du repas, il est 19 H….

En fin de journée, le ciel s’est à nouveau couvert et il tombe quelques grains de grésil.

Treizième jour de marche

18 octobre, Samdo – Dharamsala - 4470m, 3h30 de marche, départ 7 H 10

Lever à 5 h 45

Ciel dégagé, limpide ; panorama saisissant dans une lumière de cristal !  ( séquence d’extase poétique !)

Température moins deux  ( ça va, on pouvait imaginer pire hier soir !)

Petit déjeuner bien bourratif (porridge de riz au lait) un signe qui nous dit que l’ascension du jour va titiller notre énergie… Le  départ s’effectue à 7 h 10… Peu de temps après, le pic nord du Manaslu 8163m apparaît, dominant un paysage glaciaire impressionnant, où se mêlent arêtes, couloirs et glaciers. Le chemin grimpe… La végétation est devenue rabougrie et tend à disparaître. Jean nous dit que maintenant on va trouver des plantes en forme de coussin. Tout ici pousse à raz du sol.

La trace serpente entre les blocs de rochers. La marche se fait lente. Certains progressent d’une demi - chaussure dans les montées et malgré cela, ils s’arrêtent tous les cinquante pas pour calmer leur cœur moutou/dil et leur respiration !

Les pauses se font dans un cadre grandiose. On est au cœur du système glaciaire du Manaslu.

Au-dessus de nous, vers le Nord, on distingue la grande moraine du Larkya glacier ; Eh bien oui, il nous faudra gravir ça demain, il n’y a pas de doute ! Le chemin suit maintenant un versant moins raide, dans un paysage qui devient très minéral.

Le campement de Dharamsala – 4470m est situé sur un replat à côté d’une unique maison de pierre : refuge pour les bergers et les voyageurs de passage. On aperçoit au loin le campement déjà installé. Mais Kiran notre guide propose à Albert, Jean et moi de monter à 4700 m pour admirer le paysage de plus haut. Il paraît que là-haut c’était encore plus génial qu’ici. Les autres fatigués poursuivre leur route. Evidemment « l’épouvantail » avec ses deux bâtons veut venir mais Kiran refuse !

La montée est très courte mais raide et nous n’avons pas de difficulté particulière surtout que sur le plateau c’est grandiose tout autour de nous, un cirque de sommets de plus de 7000 mètres. Une petite bergerie et au loin plusieurs troupeaux de thars. On admire ces derniers avec nos téléobjectifs, quelques photos de ces animaux sauvages. Après une bonne heure de balade, il faut penser à la descente, le campement ressemble à des coccinelles mais de couleur bleue et nos amis à des fourmis kamilaa gesticulant dans cette vallée. Albert, Jean et Kiran dévalent la pente comme des fous baoulaaha/paaguel, moi je slalome très doucement évitant de me tordre un ligament ou une articulation djodni.

On nous attends pour le déjeuner il est 11 h 30 (sous la tente mess). Le temps est couvert et il  fait déjà frais (3 ou 4 degrés).

Sieste jusqu’à 13 h. Le temps se gâte. Il tombe du grésil par intermittence.

Les porteurs, infatigables, se sont entourés la tête de couvertures kome-bal et discutent en rond dehors sous la neige ou jouent aux cartes.

Ils nous impressionnent tous les jours, capables de porter des charges énormes, ils sont comme les roseaux, ils plient parfois avec le sourire mouskaounou, mais ne rompt pas,  certains sont loqueteux car ils ne prennent pas la précaution de s’habiller correctement réservant leur salaire à leur famille mais aussi malheureusement aux fléaux des porteurs : le jeu et l’alcool. Ils sont payés 300 roupies par jour. Au Népal, il paraît que c’est assez correct (environ 3,5 euros/jour).

Aujourd’hui, il y a trois groupes ici, une japonaise, et deux autres français, des Nantais…. Plus tous les porteurs et une seule cabane pour faire la cuisine. Nos amis népalais avaient envoyé Netra pour réserver cet emplacement tôt ce matin sachant que nous ne serions pas seuls au pied du col.

La neige se met à tomber ; la tente mess est occupée par un groupe de porteurs qui joue aux cartes, je les regarde une partie de l’après midi ; notre seul abri est la tente de couchage. Alors, certains passent les heures de l’après-midi acagnardés dans les tentes, à lutter contre le froid glacial (relatif tout de même ; il fait moins un degré), il est vrai que je suis quasiment le seul à ne pas craindre le froid. Mais lorsque l’on sort d’un abri, il faut faire une lutte au corps à corps avec le vent.

Bernard et Pierre son compagnon de chambrée échangent des souvenirs de leur service militaire qu’ils ont fait tous les deux à Constance au 129ème RIM. Mais pour  Pierre, 5 ans après Bernard. D’autres dorment ou font leur journal de bord. Ce soir aucune tente pour personne seule vu l’endroit, j’aurai la compagnie de Ratna kumar tamang « Police » surnom d’un porteur qui lors de mon premier trek portait un t-shirt avec ce nom, il lui restera mais il n’a vraiment rien avoir avec, tout le monde l’aime…. Françoise rejoint Nadine et la tente libérée servira à des porteurs pour passer la nuit à l’abri….

Pour certains, il est difficile de sortir des plumes pour manger ce soir sous la tente commune, il neige et il fait froid ! 17 h 30 tout le monde est là, une première bolée de soupe. On ne les comptera pas (mais on sait aussi que ça va se payer en levers nocturnes… jusqu’à 5 fois dans la nuit  pour certains !)

La chaleur de l’assiette taal/rikaapi posée sur les genoux fait beaucoup de bien. Drôle de se retrouver tous autour de la table, en doudoune avec le bonnet sur la tête. Quelques courageux ou insensibles sont tête nue….

Au sortir du repas, le campement est recouvert d’une couche de 10 cm de neige.

On va se dépêcher de replonger dans nos duvets pour une courte nuit.

Le réveil est fixé à  3 h 30 pour un départ à 4 h 30 ! Et oui, c’est ça les vacances bidaa/tchouti….

Quatorzième jour de marche

19 octobre, Dharamsala – Bhimtang - 3800m, 11h30 de marche, départ à 4 H 45

Nuit agitée et de mauvais karaabe sommeil pour quasiment tout le groupe. Moi, j’ai bien ronflé selon Police mais j’ai dit la même chose sur lui à Kiran qui sert d’interprète à son sujet, on éclate de rires hasnou tous les trois tine… Mais, je pense que les causes ont été multiples :  l’altitude  et l’oppression qu’elle provoque, l’appréhension de ce qui nous attend ce matin bihaana ce passage à 5220 m ne peut qu’en effrayer plus d’un  ! 410 m au-dessus du Mont Blanc ! Aujourd’hui, nous avons rendez-vous avec le destin. Et quand il te tient, il n’a jamais dit son dernier mot : Allons nous arriver à passer le col ?

Lever à 3 h 30, pas de thé à la tente ce matin et j’ose le dire, pas de toilette non plus pour tout le monde. Même les lingettes quasiment gelées restent dans leur sac.

La nuit a été calme, pas de bruit à l’exception des fermetures éclair des tentes et celui de la neige qui glissait le long du double toit.

Il n’a pas trop neigé. On n’a que dix centimètres au sol et cela nous rassure mais c’est horrible pour les porteurs et les sirdars qui doivent plier les tentes. Vraiment des surhommes. J’imagine ce que serait le passage du col avec cinquante centimètres de neige !

Débat sur ce sujet autour d’un petit déjeuner nourrissant pour préparer l’épreuve du jour, Françoise pète les plombs lorsqu’on lui dit qu’on n’est pas certains de passer là-haut... La nuit et le matin ont été chauds avec Nadine, question de parler heureusement elle n’a pas utilisé ses bâtons de ski, c’est le pourquoi des tentes individuelles au départ, j’avais vu juste….

 On part à la lueur de nos frontales plus tard que prévu, dans une trace faite par les porteurs (qui eux n’ont que la lueur de la lune tchane-dramaa pour voir où ils mettent les pieds),. Ils nous impressionnent ; sacrés bonshommes ( et sous le terme bonshommes, j’assimile aussi la femme « porteuse » : la sherpani) !

Spectacle étrange que cette chenille lumineuse progressant le long de la grande moraine, en silence, tchoupe (on entent quand même les respirations raccourcies) dans la nuit noire. La lune et la neige créent tout de même une lueur blafarde qui nous permet de percevoir un minimum notre environnement de marche.

De grands piquets marquent de temps à autre le prochain point de passage, ils servent aussi à ne pas perdre le sentier en cas d’une forte épaisseur de neige ce qui existe à certaines périodes de l’année dans cette région du Népal.

Le ciel s’est dégagé. On voit les étoiles avec une clarté exceptionnelle depuis Orion jusqu’à Capella ; la voie lactée est d’une luminosité fabuleuse ; on dirait un nuage baadal de pierres précieuses !

La progression est très lente mais continue. Dans les raidillons, il faut ralentir au point de n’avancer que d’une demi ou d’un quart de chaussure à la fois. On a l’impression que cette altitude imprime à nos corps cette démarche d’astronaute. Une petite pause de quelques secondes permet de se regrouper un rythme cardiaque (presque) normal. Le souffle saasse lui reste court. Mais je vais très bien, les autres ont besoin de souffler fouknou et les pauses sont plus nombreuses afin de se retrouver ce qui encourage les plus en difficultés… Et ces visages dans la nuit réunit sur une même trace, celle qui nous porte vers le sommet, pas celle d’un matérialisme obèse, celle du rêve qui nous engendre et qui nous réunit à ce moment là. Nous ne sommes que des étoiles clignotant dans l’infini qui s’éteindront au matin blême ne nous laissant que des souvenirs dans les prochains jours. A chaque geste, à chaque pas, l’on ressent le manque d’oxygène, l’étau qui se resserre dans cette nuit parfumée. La solitude envahit chacun d’entre-nous mais nous restons compagnons invités vers cette passerelle vivante de l’espoir. Le silence de la nuit tombe comme un voile. Parfois, on entend dans nos têtes, les tamtams de nos cœurs.  Il faut respirer, respirer, inhaler cet oxygène raréfié qui nous permet d’irriguer ce muscle qui nous fait vivre et avancer. Il n’y a que l’amour qui soit une force dans ces moment-là et qui nous tire vers le haut ! Où l’horizon prend fin, trouant le ciel de nuit.

C’est un chemin plus facile que l’on croit ; pour moi, ce n’est pas un chemin de croix, pour d’autres, il est démesuré. Les yeux perdus au fond des rides se taisent. Seul le craquement de nos pieds joue quelques notes indéchiffrables au contact de la neige gelée qui sonnent à nos oreilles emmaillotées dans nos bonnets. Croyez-moi c’est ici qu’on se rencontre que ces peuples qui vivent dans ces milieux se doivent d’être vénérés. Le paysage est grandiose dans cette neige. On vit un grand moment. Ces instants sont inoubliables, et on se doit de les savourer totalement malgré la douleur doukha de l’effort. Il faut stopper la machine, dépressuriser la cabine et plonger dans la vie.

Enlever les lunettes tchasmaa noires qui servaient à se protéger contre l’ophtalmie des neiges, une brûlure de la rétine qui peut rendre aveugle. Et ouvrir ses portes comme un beau soir de fête… Oublier les ennuis, les années et redevenir l’enfant qui sommeille en nous le temps d’un instant loin des cités dortoirs…

Le Larkya PeaK – 6219m se dresse tout proche. 5000 mètres, c’est la limite de l’inhumain, aucun homme ne séjourne à de telles attitudes. La cage thoracique se comprime, on s’essouffle deux fois plus vite qu’au niveau de la mer. Des traces de pas dans la neige, une inscription «  Vive la Bretagne », un signe des deux voyageurs nantais passés avant nous pour donner un brin de nostalgie à Nanard.

Deux porteurs népalais d’un autre groupe sont stoppés avec leurs dokos par le mal aigu des montagnes et font une pause ; comme quoi personne n’est à l’abri de cette situation qui peut entraîner la mort si des précautions ne sont pas prises rapidement. Mais comme nous sommes proches du sommet et donc de la descente qui est le meilleur remède du M.A.M, il ne devrait donc pas y avoir de problèmes pour eux.

La longue montée de plus de cinq heures s’achève par un ressaut qui mène doucement au col (5220 m). J’ai le regard qui s’accroche à cette immensité. On décide que le passage s’effectuera par ordre d’âge du plus vieux au plus jeune après 7 h 30 de marche continue. On est tous là, en état assez correct (pas de mal aigu des montagnes détecté à cette heure même si chacun est atteint légèrement à sa façon).

Le Larkya Bhanjyang est matérialisé par un refuge sommaire, quelques drapeaux de prière des cinq couleurs du bouddhisme, un chörten monument de pierre est planté de bannières – loungta imprimées des chevaux du vent. Ils emportent dans les airs les espoirs et les prières des pèlerins qui  posent une pierre sur le cairn au sommet du col (La). Ce cheval ghodaa ailé porte sur le dos le joyau qui exauce tous les souhait. Ici, on crie « Soo soo La Gyalo ! » Hourra,  Gloire aux dieux ! ... On est à la porte du ciel, ville des dieux… Mais cette dernière ressemble à un désert comme pour nous empêcher de passer…. Seul le froid est là, la neige blanche d’ailleurs ressemble à un linceul… Le vent haoua ne cesse de gémir. Chacun se tait, se regarde, soupirs, respire… Mais le temps nous est compté …

On ne peut vraiment pas s’éterniser ; il fait trop froid… pas loin des moins dix degrés. On doit figer ce moment sur la pellicule, mes mains tremblent, la buée s’est collée sur l’objectif, peu importe se sera l’âme aatmaa du Larkya, pas question de s’éterniser, on doit repartir illico pour une descente infernale dans cette neige peu accueillante. On a l’impression que le ciel va nous tomber sur la tête, heureusement il n’y a pas de bouteille de Coca Cola par ici….

Je décide de partir seul, Babu se met dans mon sillage en être protecteur qu’il est,  pendant que certains remercient toujours les dieux en continuant d’accrocher des drapeaux de prières que nous avions amenés… des fanatiques ? ! Mais, surprise ! Cela continue de grimper tchadnou pendant cent mètres environ… Personne ne me suit derrière… Babu est passé devant. Le vent est très violent et le froid est terrible sûrement plus proche maintenant des moins quinze degrés… Mais nous n’avons pas le matériel pour mesurer… Le souffle de l’avenir nous soulève vers le sommet. Slalom entre les cailloux dans une descente oraalo abrupte et interminable, couverte de rochers qui émergent de la neige, des obstacles, des pièges qu’il ne faut pas mésestimer, c’est très dangereux. On peut néanmoins apercevoir dans la brume le Ratna Chuli, avec à sa suite une multitude d’esthétiques sommets et de glaciers perturbés mais je n’ai pas le courage de prendre l’appareil photo.

D’ailleurs, Babu a pris mon sac d’appareils par précautions pour moi et aussi pour eux, on se penche à cause du vent, je chute néanmoins plusieurs fois, l’ongle nangue de mon pouce boudhiaolaa gauche a éclaté contre un rocher mais le froid évite la douleur, la neige devient vermillon à cet endroit. Une sorte de donation aux dieux de la montagne, je pense… Mais on avance.  Nous sommes au cœur de glaciers monstrueux venant de partout pour converger au centre d’un cirque géant traversé de moraines de toutes parts.

Dans ces descentes ont à l’impression d’apprendre à tenir debout, devant nous le sentier, le vide immense, seules des ombres dansent, celles des rochers qui masquent les traces de pas dans la neige.

Le soleil revient doucement, il est vrai que je vois un peu le bas, mais il fait toujours très froid… Après 1000 mètres de descente, dans ce désert de rocailles recouvert de son manteau blanc. Dans ces moments là, des questions viennent à l’esprit : D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? Babu me ramène à la réalité et me propose de stopper à l’abri d’un muret au soleil et surtout à l’abri du vent. Ce vent qui pourlèche les côteaux de mon cerveau nomade. Il est douze heures, on va déguster notre « panier repas », boire piounou car il ne faut jamais oublier de s’hydrater même lorsqu’on n’a pas soif,  reprendre ainsi des forces pour la suite et attendre le groupe. Les minutes défilent ; toujours personne. On se regarde… notre esprit travaille, on craint un incident ou un accident dourgatanaa… Une demi-heure s’écoule Kiran avec dans son sillage Albert dévalent la descente comme des cabris… En arrivant, il nous explique les problèmes samassyaa des autres… On comprend mieux la situation avasthaa.

En cours de route, Bernard a été pris d’une crise d’épuisement et il a du s’arrêter pour vomir son petit déjeuner.  La descente dans la rocaille enneigée va créer des chutes pour certains mais rien de grave.

Il est plus de 13 h (9 h après le départ !) les derniers arrivent enfin, comme des zombies. Certains n’ont pas le courage de déjeuner et préfèrent dormir un peu à l’abri du muret pour récupérer. Albert donne un comprimé de coramine - glucose à Nanar ce qui lui permettra de repartir à peu près normalement pour la fin du parcours jusqu’au campement de Bhimtang.

Avec Albert, Kiran et Babu nous repartons vers le camp laissant les autres déjeuner et se reposer. On longe une immense moraine.. Ce sera une véritable course car le brouillard kouiro revient et la pluie recommence à tomber… On slalome entre les rochers mais maintenant le terrain est plat rikaapi … Karsang et un autre porteur sont venus à notre rencontre pour un thé chaud et des petits gâteaux, on déguste par respect pour leur courage après une telle journée et dans le froid. Mais on les laisse rapidement pour repartir en direction du campement, leur disant de se mettre à l’abri car la pluie redouble et les autres sont loin….

On aperçoit nos tentes qui sont en train d’être montées, voici Bhimtang (3800m), notre campement est installé devant un ensemble de lodges tenu par des femmes sur une pelouse herbeuse longée par un cours d’eau. Le froid et l’humidité se dégagent de ce petit village, coincé entre un glacier noir et le flanc d’une montagne, à la lisière de la forêt.

Je choisis une tente pour me changer et me reposer un peu, Albert fait de même. Les autres arrivent par petits groupes en fonction de leurs dernières forces. Certains vont plonger pour une soirée et une nuit de sommeil non-stop, sans manger et sans boire ! Moi, je m’installe un peu autour du feu de bois dans un des lodges avec les porteurs qui se réchauffent et qui dégustent le rakshi local, moi je préfère déguster une San Miguel bien méritée, « Police » me montre ses chaussures déchirées qui sèchent près des braises… Je lui propose de les remplacer dès qu’on pourra. Un grand sourire illumine son visage. Nous ne serons que quatre autour de la table de la tente Mess ce soir et nous nous coucherons très rapidement après la soupe, seul aliment qui peut vraiment passer…

A notre sortie, aucun bruit n’émane des autres tentes où dorment déjà nos compagnons de sentiers.

Quinzième jour de marche

20 octobre, Bhimtang – Tilje - 2400m, 7h30 de marche, départ 7 H 45

Réveil à 6 h après une bonne nuit de sommeil (13 heures non stop pour certains !) La récupération a été bonne pour presque tout le monde sauf pour Nadine qui continue de souffrir…!

Cette nuit il a neigé de nouveau. Tout est recouvert… Bien froid encore ce matin ; on s’habille comme hier pour le col ; bonnets et doudounes sont encore de sortie pour le petit déjeuner et le début de la descente.

Aujourd’hui,  1500 m de dénivelé négatif ! La descente sera interminable et redoutable pour les chevilles et les genoux fragiles, les bâtons vont servir.

Le démarrage se fait dans le décor un peu lugubre que nous avions déjà hier, avec des croisements de glaciers impressionnants et des moraines grises dans tous les sens. On passe devant un frontal de glacier taillé comme un gigantesque bulldozer, duquel émerge un torrent d’eau turquoise un peu laiteuse qu’un petit pont enjambe.

Le sentier pénètre dans une forêt primaire tropicale d’abord constituée de sapins, puis de pins, de houx et de rhododendrons arborescents géants ( laligoura en népalais – la fleur nationale ) leurs branches s’enroulent les unes autour des autres parfois en une voûte basse, noyée d’une petite brume qui disparaît progressivement au lever du soleil, mais continue de flotter comme un souvenir entre les feuilles, beaucoup de lichens couvrent les arbres comme des guirlandes – 75 espèces auraient été identifiées et de mousses – 68 espèces au minimum dans la région du Manaslu. Rencontre avec des primates : des macaques rhésus.  Cette jungle mystérieuse serait-elle le reflet des esprits qui l’habitent comme l’indique la religion bön qui compte encore des adeptes dans ces régions reculées ?

Le vent a bien nettoyé le ciel, le soleil est revenu. Le Manaslu, toujours aussi admirable, dévoile maintenant sa face Ouest ; On découvre à ses côtés le Mansiri Himal - 7036m et le Phungi - 6398m. Après 3 heures de marche une maison en bois au milieu d’une clairière ; derrière, un potager, devant, un point d’eau. On s’arrête boire un thé ; très belle cuisine tenue par deux jolies femmes que nos amis népalais draguent à notre avis, on est à Sangurey Kharka mais il faut repartir, Jean se voyait déjà rester 8 jours ici pour flâner et découvrir les nombreuses espèces végétales de la région.

Après 1 heure 45 de marche assez agréable, nous atteignons le hameau de Surki Khola (2660m) situé au milieu d’une prairie ensoleillée. Passage d’une caravane de yacks ; je jette un coup d’œil dans la cuisine, je découvre trois vraies «gueules » d’hommes à immortaliser… Pique nique au soleil pour mes compagnons, moi je me mets à l’ombre de l’auberge locale, le cadre est super agréable et le repas est excellent avec des frites que tout le monde apprécie même le chien galeux qui me regarde avec ses yeux langoureux. Je craque devant tant d’amour et lui cède quelques frites de ma portion.

Après un petit repos, nous progressons encore trois heures dans la forêt et nous longerons le cours tumultueux de ce torrent qui est peut-être la Dudhi Khola (rivière de lait) qui a ses eaux chargées de farine glaciaire vu sa couleur. Elle prend sa source dans le vaste cirque du massif du Cheo Himal et de l’Himlung Himal ou Peri Himal, et ressemble à un véritable torrent impétueux et fier qui balaie tout sur son passage, rochers, troncs d’arbres énormes et emporte même parfois le chemin, ce qui nous oblige à des détours éprouvants.

Certains retrouvent un rythme de marche jubilatoire ! Bernard recommence à chanter en marchant… c’est un excellent signe. Il est vrai que le cannabis est omniprésent sur le bord du chemin et Jean transporte une véritable forêt sur son sac orné par nos amis népalais. Mais un  petit crachin nous oblige à nous mettre à l’abri d’une étable et à sortir les capes de pluie.

La descente interminable entrecoupée de quelques sévères grimpettes nous mène après 7 H 30 de marche à  Tilje – 2400m, petit village qui surplombe le rivière Dudhi Khola de plusieurs dizaines de mètres. Il est  16 h 30 …

Certains genoux ont bien souffert… et ce n’est pas fini.

Chronique bobos : moi ça va super ! Les genoux de Pierre tiennent le coup ; les ampoules de Nadine vont mieux ; Jean a un petit coup de faiblesse mais il est vrai qu’il parcourt ¼ du trajet en plus vu ses aller - retour… Albert mouline sans problème… Mais comme il attend parfois le reste du groupe avec Bernard, thèse numéro 1 du début du trek, je me retrouve souvent devant en appliquant la thèse numéro 2 avec Babu mon fidèle sirdar et néanmoins porteur de mon sac d’appareils photos…

Nuit claire …

Seizième jour de marche

21 octobre, Tilje – Jagat - 1300m, 9h de marche

Réveil vers 5 h 30… Départ à 7 h 10

Ce matin, le ciel est couvert et menaçant. Premier tronçon : Tilijé – Dharapani

C’est la dernière partie du tour du Manaslu. Après cela nous serons sur le tour des Annapurna.

Le parcours est très difficile parce que le bon chemin a été emporté par la rivière et le nouveau  n’est pas encore fini. On rencontrera du reste, les équipes d’ouvriers du chantier au travail. Derniers moments de descente le long de la Dudh Khola avant sa jonction avec la Marsyangdi Khola.

L’itinéraire de remplacement est assez épouvantable : verticales en très courts lacets (pas plus de 2 m pour chaque virage) et descentes quasi directes sur la terre humide et très glissante. Nos bâtons sont encore bien utiles pour nous retenir. Cette partie est très éprouvante et on a sérieusement hâte de retrouver un chemin plus correct. C’est l’horreur pour moi, je ne suis vraiment pas un adepte de la descente, j’ai toujours peur de perdre l’équilibre et de dégringoler sur le flanc de cette montagne.  Je m’accroche à toutes les broussailles ou branches qui viennent à ma rencontre. Je dégouline plus de sueur dans ces moments là que lorsque je monte. Babu est inquiet et me prends mon sac d’appareil photo. Il faut parfois enjamber une des racines en arceau qui obstruent le sentier quasiment vierge de passage. Nous abordons maintenant les derniers mètres.

On discerne Dharapani enfin : et avec le village, le monde civilisé et toute ses conséquences positives ou négatives; téléphone, lodges et restaurants tout au long du chemin de l’Annapurna. On est ici sur l’autoroute du trek international du Népal. Jusqu’à 15 h, on ne cesse de croiser des trekkeurs : beaucoup de jeunes israéliens avec leurs walkmans et une tenue à la limite de la correction dans cette région du globe, des Néerlandais, des Espagnols et bien sûr des Français… sans parler des nationalités indéfinissables !

Déjeuner (excellent) à Tal – 1600 mètres point de contrôle de l’Annapurna Conservation Area Project (ACAP).

Après-midi, cheminement assez laborieux sur un sentier très difficile le long de la Marsyangdi river, torrent tulmutueux du même style que la Buri gandaki. On découvre de magnifiques chutes d’eau monumentales à chaque détour du chemin… c’est grandiose.. La vallée est très encaissée entre d’impressionnantes falaises.  Le paysage est magnifique et ressemble à celui de notre montée de la Buri il y a quelques jours. Nous sommes dans une végétation qui arrête sans cesse Jean pour des observations, photos, cueillettes… Son sac déborde de branches, de fleurs, de rameaux de cannabis qui pousse en liberté tout au long du sentier.

Chemin assez interminable… On évite encore une fois les capes de pluie malgré la menace permanente. On franchit à nouveau la rivière.

A Changé, et oui, un nom de village qui va avec la situation politique actuelle du Népal : contrôle des Maoïstes qui examinent attentivement nos « certificats de donation ».

Arrivée à Jagat vers 17 h.

Le campement est installé dans la cour intérieure d’un guest house, douche tiède. C’est très bien et nous avons à notre disposition un auvent bien abrité pour nos activités diverses, écritures, bières, repas etc…

Les bières à 200 roupies s’accumulent sur la table, une bonne quinzaine, j’invite les porteurs ils sont un peu plus sages, coca, fanta… avant le dîner qui sera succulent, : des poulets koukhouraa ont été achetés en route par Chyanba, ils seront servis  avec du riz et des truches aalou ! Comme d’habitude, je quitte la table vers les 20 h pour mon duvet douillet…

Les autres vont assister à une soirée de fête animée par un groupe de femmes qui viennent chanter des chansons typiques et assez interminables avec des danses  non moins typiques.  Les porteurs se joindront à la danse sans hésiter. Cette soirée leur était proposée à l’occasion de la fête de Tihar qui dure naturellement plusieurs jours. Mais les fermetures éclairs fonctionneront vers les 21 h, la fatigue sûrement…

La nuit sera calme après le départ des chanteuses.

Dix-septième jour de marche

22 octobre, Jagat – Bhulbhule - 920m, 7h30 de marche

Réveil à 6 h Départ 7 h

Toujours cette profonde vallée et ce fleuve qui s’élargit et perd petit à petit sa couleur de turquoise laiteuse. Maintenant l’eau est un peu plus terne et le rythme du fleuve s’est ralenti avec l’élargissement  progressif de la vallée.

Paysage encore splendide sous le soleil, avec cascades illuminées parfois d’arc-en-ciels et de cultures en terrasses qui refont leur apparition. Les paysans s’activent dans leurs parcelles : labours avec araire et buffles, et désherbage des rizières. De temps en temps on croise ou on double un paysan (ou une paysanne ?) qui porte sur son dos un faix d’herbes ou de maïs coupés pour les animaux. Il disparaît sous la charge et on ne voit que les pieds qui avancent sous la montagne d’herbe. Nous les appelons les herbes à pattes. Sentier balcon jusqu’au pont de Syanje – 1100m qu’on atteint après environ une heure, nous sommes sur la rive gauche de la rivière. Dans les champs on aperçoit maintenant du maïs ; il y a aussi du  changement au niveau des arbres, on trouve maintenant des pommiers et des mandariniers.

J’ai rejoint en compagnie de Babu mes amis porteurs népalais, ils m’offrent quelques quartiers de mandarines. On traverse un village au nom précieux de Jade. Certains s’amusent à caresser de superbes petites chèvres lors d’une pose sur un des nombreux murets qui jalonnent les sentiers et qui permettent aux porteurs mais aussi aux locaux de poser leur doko et de respirer un peu avant de reprendre leur chemin.

Il fait très beau, la rivière serpente au milieu d’un écrin de verdure éblouissant agrémenté parfois de chutes d’eau  qui font penser à des diamants provenant des glaciers.

La fin du chemin est marquée par l’ascension d’un piton sur lequel se trouve le village de Bahurdanda. Je regarde Babu et je m’assieds en contemplant des fleurs de bananiers avant un dernier effort ; une caravane de mules descend, on a bienfait de ne pas monter tout de suite ! Babu me fait comprendre que c’est là-haut que nous allons nous arrêter pour déjeuner, cela me redonne du courage, mes compagnons sont très loin et je n’aperçois personne dans la vallée. Il n’y a que mon ombre qui me suit, elle me dit tiens bon…Le piton est avalé plus facilement que prévu mais il fait très chaud, mon deuxième tee shirt est trempé.

En haut, un superbe village. Les lodges sont à droite du chemin et leur salle à manger à gauche, en terrasses surplombant des jardins luxuriants. Devant des gens du village se lavent pour célébrer la fête de Tihar, les jeunes filles astiquent leurs pieds et essayent d’enlever la corne en les frottant contre des pierres, d’autres font des lessives à la même fontaine, Police est de la partie… Mes tee shirt trempés de sueur sèchent sur le haut de chaises installées au soleil et moi je déguste un fanta avec Babu… La matinée bihaana a été bien agréable (c’est toujours ce qu’on dit lorsqu’on est arrivé) avec de petites montées et de grandes descentes sous un beau soleil. Le temps reste frais malgré la basse altitude.

Passage de groupes qui commencent le tour des Annapurna, un couple du Sud de la France s’arrête, j’échange avec eux quelques mots et leur souhaite bon courage pour la suite. Albert, Jean, Bernard arrivent, les autres suivront…. Le repas est servi, nous admirons de notre balcon le chemin que nous avons parcouru…. Après cette halte, certains profitent d’un poste téléphonique sur la place du village pour donner des nouvelles en France et aussi à Kathmandu. Je donne de l’argent à Police pour ses chaussures ; il revient heureux avec des baskets en peau superbes mais pas vraiment  adaptées pour la pluie.

Le temps est orageux cet après-midi. Il pleut bien après quelques minutes de marche, la descente est très raide et nous sommes sous un déluge. Cette fois, il nous faut sortir les capes de pluie pour toute la marche à venir. Kiran est trempé.  Nous nous abritons parfois sous un arbre, une tôle qui dépasse d’un toit, l’eau ruisselle sur les marches du sentier. Il faut faire très attention dans cette descente qui touche à sa fin car le sentier devient un large chemin agricole transformé en rivière par l’averse. Les marches ont disparu. Je suis repassé devant avec Babu et Police qui glisse et se casse la figure avec son doko, nous avons peur, on le relève, tout va bien… Heureusement, il n’a pas ses belles chaussures aux pieds mais ses sandales - tongues tchapal.

Passage à Ngadi – 930m. On quitte le village en empruntant un grand pont suspendu impressionnant sur la Ngadi Khola l’averse se fait très forte. On trouve refuge sous la devanture d’un magasin fermé. Un groupe d’Hollandais, nous rejoint avec leur guide. Après un quart d’heure, le ciel se calme et le soleil réapparaît : Pour combien de temps ? Tout le monde repart nous vers la droite, les autres vers la gauche du sentier….

Plusieurs groupes de maisons : Nyagaon, Taranche se succèdent sur la rive gauche de la rivière qui ressemble maintenant à un torrent de boue. De nombreux Népalais et Népalaises superbement habillés pour la fête de Tihar essayent de rejoindre leur famille abrités sous d’immenses parapluies tchaataa. Je suis stupéfait de voir les femmes marcher avec des petites chaussures indemnes de boue : Comment font-elles ?

La journée se termine. On la finit par une marche de promenade, tous ensemble, pour les derniers kilomètres que nous dégustons avec gourmandise.

Nous arrivons à Bhulbule 840 mètres. Au fond de la vallée, le couchant illumine le Lamjung Himal que nous observons avec une petite pointe de nostalgie ( c’est pas vrai ça ?)

Ce soir, c’est une atmosphère de fin de trek dans le camp. Juste une bouffée d’air pur dans la douceur du soir. On partage quelques boissons, près de trente bouteilles vont succomber avec les porteurs qui l’ont bien mérité dans une ambiance amicale de rires et de plaisanteries avec toujours, au-dessus des autres, les rires tonitruants de Netra.

Demain bholi, dernier jour…. Soupirs.

Ce soir c’est encore la fête de Tihar et les villageois envahissent le camp à la nuit raati tombée pour chanter et danser pour nous et avec nous… Longtemps leur mélopée nous accompagnera alors que nous recherchons le sommeil.

Dix-huitième jour de marche

23 octobre, Bhulbhule – Besisahar , 2h30 de marche

Nuit calme après les derniers chants accompagnés par le tambour à deux voix, seul instrument que nous aurons vu dans ce trek.

Bon sommeil pour cette dernière nuit sous la tente. Les hanches tchaak sont un peu meurtries, et on trouve parfois un peu dur kodaa le sol djamine inégal, mais avec l’habitude et la fatigue, le sommeil vient vite et on ne sent plus rien jusqu’au matin. C’est alors, vers 4 ou 4 h 30, après 8 h de sommeil entrecoupé de phases de somnolence, de levers aux étoiles, que certains recommencent à trouver presque insupportable le contact avec le sol.

Ce matin, lever 5 h 45. Dernier thé à la tente avec la bassine d’eau chaude à 6 heures.

Temps frais : encore une fois on a besoin de la petite couche polaire alors qu’on est à 920 mètres. La saison maossame a évolué depuis notre départ ; trois semaines après, l’air  a eu le temps de fraîchir.

On traverse la Khudi Khola sur un pont en fer, photos du lever de soleil sur les Annapurna II et IV (7937m) traversée du hameau de Sera, fin du sentier. Marche promenade maintenant au soleil sur la première route carrossable depuis Gorkha.

Nadine ainsi que les porteurs prennent le bus basse (coût 100 roupies) pour cette dernière étape, je lui donne mon sac qui contient les derniers pourboires pour nos amis népalais restant. Le bus est archi plein. Nous le regardons s’éloigner, il bascule de gauche à droite, la route est loin d’être plate mais carrossable… Nos porteurs se sont installés sur le toit avec leurs dokos et nos sacs… Ils sont heureux… Photos !!!

Nous continuons sans nous presser, savourant les derniers pas du trek. On franchit encore un pont de bambous bien branlant sur un petit torrent affluent de la Marsyangdi pour rejoindre la rive droite de ce fleuve.

Arrivée à Besisahar – 760m vers 10 heures. Et on commence par prendre un pot à l’entrée de la ville sahar.

Oui, Besisahar est une grande ville avec une rue commerçante de plus d’un kilomètre de long et bitumée, s’il vous plait ! Et oui, cette bourgade est devenue prospère depuis une dizaine d’année.

Nous rejoignons notre hôtel situé à l’autre bout de la ville et nous décidons de prendre des chambres et non pas de dormir sous la tente pour cette dernière nuit. J’en profite aussi pour prendre une bonne douche chaude pour célébrer l’accomplissement de mon rêve…

La ville est encore en pleine fête avec des groupes de jeunes qui  passent de la musique enregistrée (un groupe tente de jouer du rock)  entre deux rangées de jeunes filles en costumes magnifiques et uniforme.

C’est un peu une ambiance de fête de la musique sane - guite.

18h30 -  Coupure du courant. C’est normal, paraît-il ici ?

Ce soir, nous sommes les invités de notre équipe qui nous gâte d’innombrables petits plats rikaapi savoureux.

Après un bref discours, j’en profite pour distribuer les pourboires que nos amis népalais reçoivent entre leurs mains jointes. Il est vrai que sans eux nous ne sommes presque rien et nous leur devons l’accomplissement de notre rêve… Encore merci…. Danneybat !

Il y a des sourires sur les visages…

Ce soir c’est la fête, le rakshi va couler à flots, j’espère qu’il n’y aura pas trop de jeux kail de cartes !

Dix-neuvième jour le retour

24 octobre, Besisahar – Dumre – Katmandou, 6 heures de route

Départ 7h - Route cahotante jusqu’à Dumre.

Autrefois, c’est d’ici que partait le trek des Annapurna et il fallait déjà trois jours de marche pour rallier Besisahar !

Magnifiques ouvertures sur la chaîne des Lamjung Himal , vue splendide sur l’himal Chuli (7893m) et le Manaslu qui nous accompagne au début de la route.

Puis c’est la route Pokhara – Kathmandu le long de la Trisuli. On connaît déjà ! Grosse circulation, ça double n’importe comment, et on serre les fesses. Au secours Ste Rita !  ( C’est la patronne des causes désespérées : http://fr.wikipedia.org/wiki/Rita_de_Cascia )

Chicken dal bhaate sur le bord de la route.

Tout a le goût des poissons maatchaa séchés que l’on trouve à tous les étals, enfilés sur des tiges de bambou.

Arrivée à Katmandou : hôtel Harati vers 15 heures, nos amis d’Exotic sont là…. Douche chaude tato puis dîner au Héléna…

Nuit dans un bon lit. Souvenirs… Nostalgie…Rêves… !!! Je reviendra c’est certain… pour un autre rêve le DOLPO en 2007… car ici à chaque instant, il naît une émotion, un émerveillement… Notre force intérieure est un élément important et déterminant pour nous faire oublier toutes nos souffrances, alors il ne reste que du bonheur lorsqu’on va à la rencontre de ces paysages grandioses et vers cette population qui ne nous laissera jamais indifférents. Mais la nature ici plus qu’ailleurs peut-être impose toujours sa loi kaanoune, et il faut la respecter. L’Himalaya, vénéré comme la demeure des dieux, est toujours une destination magique qui touche le cœur de chaque voyageur lorsque ce dernier laisse son âme s’élever dans les nuages qui titillent les neiges éternelles.

J’ai changé de pays, je t’ai quitté,

j’ai déserté tes sentiers mais je ne t’ai jamais oublié,

 je suis toujours revenu vers toi Ô royaume des dieux imaginaires ….

Subolatri : Faites de beaux rêves et surtout n’hésitez pas à les réaliser car les rêves passent comme la vie !!!

Danneybat - Merci à tous mes amis népalais Kiran DAHAL, Karsang TAMANG, Rakam TAMANG, Babu TAMANG, Netra TAMANG, Kancha Karsang TAMANG, Indra TAMANG, Ratna TAMANG, Chyanba TAMANG, Basu Dev  Sakha, Shree Gopal Baiday, Pradip Vaidya,  à Nadine, Françoise, Albert, Jean, Pierre compagnons de cette aventure, et un très grand merci à Bernard qui sans lui ces mots qui ont une vie n’existeraient pas puisqu’il a dès son retour lancé la trame de ce récit, à Exotic Trek and Expéditions organisateur de ce voyage, à l’hôtel Harati, à Naldum Village et au Shiva Guest House qui nous ont reçus dans la vallée de Kathmandu.